« On se casse, il est flippant. »

Sur ces mots, Nina avait claqué la porte, perchée qu’elle était sur ses talons aiguille, et elle l’avait suivi à l’extérieur. Loebhan, toujours assis à son piano, ne leur avait accordé qu’un regard morne en guise de réponse lorsqu’ils s’étaient enfuis ; et la lourde porte grinçante claqua dans le silence. Il n’entendit pas les notes de piano, harmonieuses cette fois-ci, qui s’échappèrent quelques secondes plus tard de la pièce, il ne vit pas non plus le grand rouquin qui semblait s’apprêter à leur demander quelque chose. La rencontre avec Loebhan, bien que si courte, lui avait tapé sur les nerfs, et à présent, il ne pensait qu’à s’éloigner de cette pièce. Lui, et Nina, dont les talons frappaient le sol juste après ses propres pas...

« Je suis désolé que tu aies eu à rencontrer Loebhan dès ton premier jour » lança-t-il lorsqu’ils eurent fait quelques pas, avec une pauvre grimace qu’il n’adressa à personne à particulier, fixant le bout du couloir. « Il était là quand je suis arrivé aussi. Personne ne sait exactement qui il est, ici, il est... Bizarre. »

Bizarre était un joli pléonasme, dès lors qu’on parlait de Loebhan. Il avait entendu toutes sortes de rumeurs sur lui au coin de couloirs, chuchotées sur son passage ou même lorsqu’il n’était pas là – mais ces racontars étaient tous plus fous les uns que les autres, et se démentant eux-mêmes, il n’y en avait aucun que l’on pouvait vraiment croire. Ce qui était sûr, c’était qu’il n’était pas un pensionnaire comme les autres. Mais impossible d’en savoir plus.
Lorsqu’ils arrivèrent au bout du couloir, Blume ralentit légèrement, et se retourna vers Nina.

« Je t’amène aux dortoirs des filles. Tu pourras poser tes affaires et... T’installer, je suppose. Normalement, tu devrais commencer cet après-midi. »

Génésis n’avait aucune pitié pour les nouveaux arrivants. Peut-être étaient-ils en manque de bras – dans tous les cas, les nouveaux devaient apprendre sur le tas, si leurs coéquipiers étaient de suffisamment bonne humeur pour leur expliquer comment marchait le système. Le bizutage des nouveaux, également, semblait être un sport national. Certes, il n’était pas le mieux placé, mais en quelque sorte, elle avait eu de la chance de tomber sur lui en arrivant. Ça aurait pu être bien pire.

« Quant au travail que tu devras faire. »

Ils avaient marché un instant, ils étaient à présent près de la porte du dortoir, et Blume s’arrêta, se retournant vers elle pour pouvoir mieux se concentrer. Il n’était pas sûr de savoir exactement comment placer ses mots.

« Pour faire simple, on va t’appeler dans les hauts parleurs. Tu devras à ce moment-là partir en mission, avec d’autres gens – on va t’envoyer dans un endroit, qu’on appelle le Monde Virtuel, et là, tu devras tuer des sales bestioles, que tout le monde appelle Taches. Quand elles seront toutes mortes, tu pourras revenir ici et... » Il pencha légèrement la tête sur le côté. « Ensuite, il faudra recommencer. C’est le quotidien, ici. »

Autant ne pas parler tout de suite du fait que les mondes virtuels se situaient dans l’esprit des gens. Ça ferait sûrement trop de trucs à assimiler d’un coup.

' Je suis désolé que tu aies eu à rencontrer Loebhan dès ton premier jour '
Elle trainait sa valise à roulettes un peu rouillée derrière elle, faisant claquer ses talons sur le sol des couloirs du centre. Le lieu lui donnait une impression de laboratoire désaffecté. Aucune fenêtre, une lumière blanche qui semblait vouloir lui crever les yeux, un sol de couloirs de Lycée. Génesis. Elle espérait que les chambres étaient individuelles, bien qu'elle en doutait fort. Nina avait besoin de calme, d'espace. Peut-être d'une sorte de chez soi, un endroit où elle se saurait en sécurité. Elle avait prit de sa chambre quelques objets au hasard. Elle avait compris qu'ici la vie serait dure et elle avait espéré un réconfort matériel, si elle ne pouvait pas ni communiquer avec le monde extérieur ni avec la plupart des pensionnaires. Elle espérait au moins comme colocataire une fille pas trop bizarre qui la laisserait s'installait sans trop de problème. Tout irait bien si la majorité des petits délinquants se comportaient comme Blume plutôt que comme Loebhan.
' Il était là quand je suis arrivé aussi. Personne ne sait exactement qui il est, ici, il est... Bizarre. '
Nina fit un sourire navré à Blume. C'était elle qui était désolée qu'il se retrouve à s'occuper d'elle.
' Je t’amène aux dortoirs des filles. Tu pourras poser tes affaires et... T’installer, je suppose. Normalement, tu devrais commencer cet après-midi. '
Blume s'était arrêté au bout d"un couloir, face à elle.
' Merci beaucoup de m'aider. ' grimaça t-elle en ralentissant à son tour.
' Quant au travail que tu devras faire. '
Elle devrait se servir d'une arme mieux qu'un d'un stick à lèvres, merci Loebhan.
' Pour faire simple, on va t’appeler dans les hauts parleurs. Tu devras à ce moment-là partir en mission, avec d’autres gens – on va t’envoyer dans un endroit, qu’on appelle le Monde Virtuel, et là, tu devras tuer des sales bestioles, que tout le monde appelle Taches. Quand elles seront toutes mortes, tu pourras revenir ici et... '
Nina le regardait stupéfaite. Encore une explication sans queue ni tête. Elle n'eut pas la force de répondre tout de suite.
' Ensuite, il faudra recommencer. C’est le quotidien, ici. '
Une sorte de jeu vidéo? Ils allaient jouer à un jeu vidéo? Entre entrer dans la tête des gens, et jouer à un LaserQuest, Nina semblait perdue.
' Je t'avoue que je suis pas trop ce qu'il se passe ici. ' fit-elle, hésitante. ' Ce type, là, Loebhan, ce qu'il disait, c'était vrai ou pas? Et d'où tu sors cette histoire de Monde Virtuel? Je comprends pas. '
Elle posa sa valise, sembla réfléchir, murmura pour elle-même.
' On va devoir se battre contre des espèces de Taches... ' Rien n'était cohérent.
Elle soupira.
' J'aurais du aller en prison, quitte à être appelée Capteuse d'enfants, au moins j'aurais fais de l'animation en chantant et en tapant sur mes barreaux avec une petite cuillère. '
Elle se tut un instant.
' Excuse moi. Je raconte n'importe quoi.

Blume eut un rire devant les propos incohérents de Nina. Il comprenait sa réaction. Il était impossible de ne pas se sentir perdu lorsque l’on arrivait à Génésis – trop de changements violents, trop de choses incroyables à assimiler trop rapidement. Lui aussi avait cru être envoyé dans un jeu vidéo de mauvais goût, lors de ses premiers pas dans l’Arène. Il songea avec une légère grimace que sur ce coup-là, il avait vraiment eu la poisse. Quelle idée de débarquer dans une zone de combat alors qu’il venait d’arriver au centre, aussi...

Il s’appuya légèrement au mur, son rire lui étirant les lèvres.

« Moi aussi, je me suis dit que rien ne pourrait être pire que la prison. Et pourtant... »

Son rire se cassa un peu lorsqu’il se demanda si Nina savait se battre. Elle avait été envoyée ici quasiment par accident. Elle était mince, tenait perchée sur de hauts talons, et ses mains, blanches et fines, avaient de jolis ongles effilés. Pas le physique d’une fille habituée à se battre pour survivre dans la rue. Il pensait que les seuls envoyés à Génésis étaient ceux avec un passé violent – pourtant cette fille prouvait le contraire. Comment allait-elle faire, lorsqu’elle se retrouverait face aux énormes Taches qui peuplaient les Mondes Virtuels... ? Il faudrait que quelqu’un dans son groupe prenne la peine de la protéger. Il ne restait plus qu’à prier pour que ses compagnons de mission soient assez sympathique pour daigner le faire. Toute jolie et innocente qu’elle était, il allait falloir qu’elle apprenne sur le tas, comme les autres.

« Écoute » reprit-il plus lentement. « Je sais que ça doit te paraître fou mais... Chacun de nous a un monde dans son esprit » fit-il avec précaution en désignant son crâne. « Lorsqu’une personne devient violente, ou a par exemple des tendances suicidaires, des Taches apparaissent dans son monde intérieur, qu’on appelle le Monde Virtuel. Nous, on est envoyés dans ces Mondes Virtuels infestés de Taches – me demande pas comment – et on doit les tuer pour soigner la personne à qui le monde appartient. »

Il eut une moue.

« Je sais que ça fait mauvais jeu vidéo... Mais malheureusement, c’est comme ça. »

Il la regarda de son air inquiet.

« Tu ne t’es vraiment jamais battue ? »

Nina regarda d'un œil le couloir devant eux. Des portes de chaque côté, chacune espacée de l'autre par un mur d'une même longueur. Des portes simples, et aucun de bruit. Génesis sommeillait encore. Cette disposition pour un dortoir signifiait forcément que les chambres étaient partagées. Sinon, il aurait fallu beaucoup plus de chambres. Mais avec combien de jeunes femmes vivrait-elle? Elle aurait probablement du mal à s'habituer à son nouveau quotidien, à de nouvelles connaissances. Mais Nina n'était pas quelqu'un de faible, malgré des mains plutôt frêles, un grand air innocent et pâle collé à son visage. Elle savait facilement s'adapter; c'était peut-être pour ça qu'elle avait du rejoindre au moins cinq groupes de musique différents l'année dernière, quand Nina and The Prodigies n'existait pas encore. Certes, la musique n'était pas la vie. Mais entre Trash Rock, l'espèce de groupe Punk Hard Rock, The Blues Sisters, le girls band classe un peu jazzy, ou les trois autres groupes respectivement Soft Rock, Pop et Techno, elle avait malgré tout du s'adapter à la mentalité de chacun des groupes, à leur manière de penser.
Aujourd'hui il n'était pas question de musique... Mais ce serait pareil.
' Moi aussi, je me suis dit que rien ne pourrait être pire que la prison. Et pourtant... '
Blume avait ris de sa réaction, ce qui ne l'étonnait pas vraiment.
Puis il était redevenu un peu plus sérieux.
' Écoute. Je sais que ça doit te paraître fou mais... Chacun de nous a un monde dans son esprit '
Nina sembla vouloir se re-concentrer. Blume désigna sa tête.
' Lorsqu’une personne devient violente, ou a par exemple des tendances suicidaires, des Taches apparaissent dans son monde intérieur, qu’on appelle le Monde Virtuel. Nous, on est envoyés dans ces Mondes Virtuels infestés de Taches – me demande pas comment – et on doit les tuer pour soigner la personne à qui le monde appartient. '
Silence.
' Je sais que ça fait mauvais jeu vidéo... Mais malheureusement, c’est comme ça. '
Nina eut le souffle coupé. Par réflexe, elle posa sa main sur ses cheveux, sentant son crâne sous la masse brune. Elle avait elle aussi un monde virtuel... A quoi pouvait-il bien ressembler?
Son regard croisa celui du jeune homme. Il lui demanda, l'air inquiet.
' Tu ne t’es vraiment jamais battue ? '
Elle soupira, laissa retomber sa main, s'adossa au mur du couloir.
' Oh... Deux, trois fois pour des crêpages de chignon, rien de très sérieux. Et je me suis défendue une fois d'une agression, avec une bombe anti-moustique. ' Elle laissa échapper un rire. ' Mais j'ai fais deux semaines de stage de tire à la carabine, ado, dans un club de vacances. J'en ai pas refait depuis... '
Son léger rire se mua en une moue amusée et désolée en même temps.
' C'est un peu nul mais c'est mes seules expériences de combat! Je m'entrainerais au tir s'il le faut...

Les lèvres de Blume s’étirèrent en un sourire navré.

« J’aurais été ravi de t’aider à t’entraîner, mais j’ai jamais touché une arme à feu... »

Dans le milieu d’où venait Blume, les combats avaient le plus souvent lieu à mains nues, et il n’était pas rare d’avoir affaire à un couteau – mais les armes à feu étaient taboues. Les armes à feu, c’était les flics, c’était l a promesse de finir mal quoi qu’il se passe. Le bruit d’une détonation lui donnait toujours le frisson. Il avait l’impression de se perdre dans le trou noir qu’était le bout du canon.

Mais dans le cas de Nina, c’était différent. Il était difficile, même, impossible de l’imaginer dans un corps à corps, où elle se ferait briser comme une brindille. Le plus sûr pour elle, se serait d’être le plus éloignée des Taches possible, et pour cela c’était d’une arme à feu qu’elle aurait besoin. Du moins, le temps de s’habituer au rythme des combats. Elle était bien plus jeune que lui, et était d’apparence assez fragile, mais quelque chose lui disait qu’elle ne se laisserait pas faire comme ça. Y avait-il de toute façon une seule fille qui soit faible à Génésis ?

« Tu vas devoir te débrouiller toute seule. De toute façon, le matin, il y a souvent des cours théoriques ou des entraînements... » fit-il en secouant la tête, semblant réfléchir à un moyen de l’aider alors même qu’il parlait. Il la balaya du regard, ses yeux s’arrêtèrent sur ses pieds, il eut un léger sourire. « Il va falloir changer de chaussures, aussi. » remarqua-t-il gentiment moqueur.

Devant eux, le couloir était encore désert. Pourtant, les chambres bruissaient déjà du léger chuchotis des pensionnaires se réveillant ; sur une de ces portes, le nom de Nina avait dû être écrit à la va-vite par un des surveillants, et ce serait sa nouvelle maison. Il ne restait qu’à prier pour qu’elle tombe sur quelqu’un d’aimable. Blume eut une pensée pour son propre colocataire, Innocent, qu’il chassa vite de son esprit avec un froncement de sourcil. Dans le genre aimable, celui-là, il pouvait mieux faire.

Le regard se promenant dans le couloir dont les portes commençaient à s’ouvrir, il finit par lâcher.

« Je pense que tu peux t’en sortir ici. Tu... » Il sembla hésiter un peu, puis tourna la tête vers elle. « Tant que tu ne te laisses pas démonter par les anciens qui voudront te faire peur, ça devrait aller. Et puis si tu as un souci, je sais pas si je peux être d’une grande aide mais... » Il haussa les épaules. « Je suis toujours là. Même si c’est juste pour changer une ampoule. »

' J’aurais été ravi de t’aider à t’entraîner, mais j’ai jamais touché une arme à feu... '
Nina lui avait glissé un sourire amusé et surpris. Blume se montrait être un véritable chevalier servant, il faudrait qu'elle garde ça bien en tête. Quand on est enfermée et forcée à se battre dans ce genre de lieu, un homme fort et serviable est souvent le bienvenu. Elle ne regrettait plus d'avoir chanté si fort. Serait-elle directement tombée sur Loebhan si Blume ne l'avait pas entendue chanter, elle le craignait. Mais elle avait eu la bonne idée d'être un peu grandiloquente et égocentrique pour sa première heure à Génesis, et c'était Blume et ses mèches vertes qui était alors venu à son secours.
' Tu vas devoir te débrouiller toute seule. De toute façon, le matin, il y a souvent des cours théoriques ou des entraînements... '
Quel était l'organisation qui s'occupait d'eux, que signifiait Génesis, comment avaient-ils su pour les mondes virtuels, pourquoi c'étaient eux qui devaient aller se battre... Blume n'était probablement pas en mesure de lui expliquer. Il lui était déjà d'une aide considérable mais elle devinait sur son visage qu'il lui avait tout dit de ce qu'il savait; ou presque.
' Il va falloir changer de chaussures, aussi. '
Nina rougit de honte. Perchée ainsi, on aurait du mal à la croire, si elle annonçait qu'elle était prête à se battre. Bien sûr, elle avait eu la bonne idée de prendre des baskets; et des bottes si jamais les baskets s'usaient. Bien sûr... Les bottes avaient des talons. Nina avait tendance à se trouver petite.
Elle regarda ses chaussures, mortifiée. Pour qui passait-elle?
' Je pense que tu peux t’en sortir ici. Tu... ' avait-il commencé, finalement, après un court silence. Il regarda le couloir, puis elle.
' Tant que tu ne te laisses pas démonter par les anciens qui voudront te faire peur, ça devrait aller. Et puis si tu as un souci, je sais pas si je peux être d’une grande aide mais... '
Elle leva ses deux grands yeux noirs sur lui.
' Je suis toujours là. Même si c’est juste pour changer une ampoule. '
Nina éclata de rire. Mais pas par moquerie, ou parce que Blume lui paraissait ridicule.
Quel bon dieu avait veillé sur elle pour que la première personne qu'elle rencontre dans ce cauchemar soit ce punk allemand?
Elle eut envie de lui sauter dans les bras, mais se ravisa.
' Oh non, je sais et je serais vraiment pas quoi faire pour te remercier si jamais tu m'aides... ' Elle rit encore. ' Et tu m'aides déjà beaucoup, je suis gênée! Merci beaucoup. Je crois bien que je vais avoir de grandes dettes envers toi. Et pour les anciens terrifiants... Merci du conseil. Je ferais de mon mieux. '
Elle regarda ses pieds.
' Et je changerais de chaussures.

C'était sans doute normal pour une chanteuse, mais la fille avait un joli rire, comme un cristal qui tintait. Blume lui jeta un oeil attendri. Elle était sûrement plus jeune que lui, elle ressemblait à une diva miniature, une petite statuette à glisser dans une bouteille sur ses talons aiguilles. Plus il la regardait, et plus il se demandait ce qu'elle faisait à Génésis. Qu'était-il passé par la tête des gens qui l'avaient volontairement envoyée ici, hein? Il en aurait volontiers énucléé un ou deux. Mais le port d'arme était interdit en dehors des missions. Hélas.

Il eut un sourire en coin en la fixant.

" Me remercie pas. Je ne peux qu'être faible face à une jolie fille qui chante aussi bien que toi... " lança-t-il avec sa petite moue, avant de lui donner une pichenette sur le front et de s'écarter, brisant le contact qui s'était établi quelques secondes entre leurs yeux. Il s'engagea dans le couloir qui menait aux chambres, parcourant des yeux les portes autour de lui.

" Bon! On va trouver ta chambre et ensuite je te laisserai t'installer! " lança-t-il d'une voix légère, la devançant d'un pas alors qu'ils s'avançaient dans le couloir. Il était en tout point identique à celui des garçons - un peu plus propre, peut-être - et tout autour d'eux, des pensionnaires endormies commençaient déjà à émerger de leurs tanières pour se diriger vers le réfectoire. Détaillant au passage les noms des chambres avec attention, et sous les regards presque perplexes des jeunes filles qui devaient se demander ce qu'il faisait là, il finit par tomber sur le nom de Nina. Elle avait déjà une colocataire, une certaine Lily Petit dont le nom ne lui disait rien, mais n'évoquait pas quelqu'un de très terrifiant - il ne fallait pas se fier aux apparences, mais en quelque sorte il en fut soulagé tout de même.

Se retournant vers Nina, il lui désigna la porte de sa chambre de l'index.

" A toi l'honneur, Schatzi " fit-il sans quitter son sourire, lui faisant comprendre que son chemin à lui s'arrêtait là et qu'il allait probablement à présent retourner à ses dortoirs. " Et n'oublie pas, si tu as besoin de quoi que ce soit... Je suis chambre 2. Et mon colloc' mange pas les petites filles. "

Il avait entendu dire qu'Innocent était du genre chevalier servant, toujours en train de chercher la belle demoiselle en détresse à protéger. Dans ce cas-là, s'il rencontrait Nina, il serait sans doute ravi. Pas de souci à se faire de ce côté-là.

[je suis désolée, Blume a l'habitude de jouer le lover avec à peu près tout ce qui bouge. déformation professionnelle, je crois. et Schatzi ça veut dire trésor, plus ou moins!]

La pichenette, inattendue, eut le talent de surprendre Nina qui se crispa un instant. Elle le regardait, un peu interloquée, alors qu'il s'avançait déjà dans le couloir des dortoirs des filles.
' Me remercie pas. Je ne peux qu'être faible face à une jolie fille qui chante aussi bien que toi... ' lui avait-il dit. Nina remit en place une mèche brune pour cacher un rougissement malvenu. Un gentleman, ce punk allemand; elle avait cru remarquer. Peut-être profitant de son statut de gentleman, aussi. Pas que ça lui déplaisait, particulièrement, des gentillesses et des flatteries de la part de beau européen de l'est aux cheveux verts, mais ça la déroutée un peu, parfois.
Elle traina un peu sa valise dans le couloir, sans un mot, alors que devant elle Blume cherchait des yeux sa chambre.
Une porte s'ouvrit sur sa droite. Une fille à tresses africaines blondes, si longues qu'elles ressemblaient à des sortes de dreadlocks, sortie d'une des chambres, bailla, puis dévisagea Nina comme un animal étrange. Ainsi commença le long ballet des pensionnaires de Génesis... Quelle heure était-il, elle n'en savait rien. Mais Génesis continuait à s'éveiller.
' A toi l'honneur, Schatzi! ' lui lança son nouveau meilleur ami du monde et protecteur attitré en lui désignant une porte près de lui. Nina s'avança, regarda la porte en question. Deux noms y étaient inscris. Lily Petit, Nina Shelley. Donc, il y aurait une colocataire. Nina sourit. Lily Petit, c'était mignon, elle espérait ne pas trouver une grande racaille barge derrière ce nom. Ou alors quand Blume la recroiserait, elle ne serait plus qu'une purée d’endives sur talons aiguilles.
' Et n'oublie pas, si tu as besoin de quoi que ce soit... Je suis chambre 2. Et mon coloc' mange pas les petites filles. '
Nina eut un rire, se tournant vers Blume.
' D'accord, alors je prend note, si jamais... ' Elle eut un sourire malicieux. ' ... J'ai besoin de changer une ampoule. '
Elle regarda encore la porte, soupira, frappa deux coups pour être sûre d'avoir le champ libre. Il n'y eut aucune réponse, elle tourna doucement la poignée. Elle espérait que sa colocataire n'était pas encore en train de dormir. Mais non, quand la porte s'ouvrit, il n'y avait rien, à part quelques affaires ici et là et un papier à bonbons abandonné sur le lit de - probablement - Lily Petit. Nina se tourna vers Blume.
' Au fait,ça veut dire quoi, Schatzi?

" D'accord, alors je prend note, si jamais... " Elle eut un sourire malicieux. " ... J'ai besoin de changer une ampoule. "

Blume eut un rire. Décidément, cette fille lui plaisait bien.

" Toujours à ton service " lança-t-il avec un petit geste militaire, reculant jusqu'à se retrouver adossé au mur qui faisait face à la chambre de Nina.

Il fourra ses mains dans ses poches, étirant le jean trop serré sous ses poings, la regardant. Elle avait hésité avant d'entrer dans la pièce, frappant deux coups pour être sûre de ne pas déranger - il n'y avait pas eu de réponse, et finalement, d'un air timide, elle avait poussé la porte. De là où il était, la chambre n'était encore qu'un gouffre d'obscurité, et il ne pouvait rien y voir. De toute manière il était probable qu'elle soit absolument identique à toutes ses voisines - c'est à dire moche et impersonnelle, il ne ratait rien d'extraordinaire, donc.

Au moment où il pensait que Nina fermerait la porte, et qu'il pourrait s'en aller pour rejoindre son propre dortoir, celle-ci l'entrouvrit et lui jeta un regard. Il interrompit son mouvement pour s'éloigner, surpris, revint vers le mur. Sur le joli minois de Nina, il y avait une expression ennuyée, comme si quelque chose la turlupinait. Il pencha légèrement la tête.

" Au fait,ça veut dire quoi, Schatzi? " lança-t-elle alors avec curiosité.

Il la regarda un instant, fronça les sourcils une seconde. Il n'était pas très calé en mots doux français. De ce côté-là du vocabulaire, l'allemand l'emportait totalement - déformation professionnelle sans doute, il avait du mal à ne pas se montrer charmeur avec toutes les personnes qui lui semblaient un peu sympathique. Entre Marc et lui, c'était devenu presque un jeu de récolter le plus de conquêtes possibles, et depuis qu'il était arrivé au Centre il n'avait pas vraiment réussi à se faire à un retour à la normale. Allez savoir si ça lui passerait un jour.

" ... J'imagine que tu le traduirais par trésor " lâcha-t-il enfin après une seconde de cette réflexion, avant d'enfin retrouver son mince sourire. " Mon trésor. Schatzi. C'est un surnom allemand "

Il décolla son dos du mur et commença à s'éloigner, faisant quelques pas à reculons pour être toujours en face d'elle, ses mains fichés dans ses poches. Son air interloqué était assez réjouissant. Schatzi, oui, ça lui allait bien.

" Faut que je file maintenant! Bonne chance pour la suite. On se reverra de toute façon " fit-il en haussant les épaules comme si c'était une évidence, avant de rajouter comme si ce n'était pas suffisant. " T'auras qu'à me chanter un truc pour me remercier... Schatzi. "

Avec un dernier sourire pour la jeune fille, il tourna enfin les talons, et disparut dans le couloir.

Schatzi.
' ... J'imagine que tu le traduirais par trésor '
Nina rougit jusqu'aux oreilles. Les beaux sourires, rires, moues, haussements d'épaules désinvoltes... Blume avait été un camarade idéal dans ce monde cruel et dans son arrivée catastrophe au centre Génesis.. Mais voilà que la jeune chanteuse essayait de voir plus clair dans son jeu... Il la draguait... Ou merde?!
Avec ses allures d'habitué, ses mines qui semblaient lui promettre qu'il n'y avait rien d’ambiguë dans son comportement, elle avait finit par se dire que Blume était un lover innocent et inconscient de son propre charisme. Mais le coup du petit surnom allemand mignon qu'il lui avait susurré avec son délicieux accent ( ou pas ) lui prouvait que Blume était en réalité très probablement un dragueur assumé plus qu'autre chose. Ou alors il faisait ça naturellement sans s'en rendre compte...? Nina était perdue.
Elle se retrouva une nouvelle fois bête et muette, ne savait plus quoi faire face à ça.
' Mon trésor. Schatzi. C'est un surnom allemand '
Blume ou comment enfoncer le couteau dans la plaie. Elle avait compris, oui, Schatzi. Mon trésor.
Nina lâcha un petit 'Ah...' faible et maladroit, la main toujours sur la poignée de la porte de sa chambre.
Elle leva les yeux vers Blume; celui-ci se décolla du mur auquel il s'était appuyé plus tôt , marcha à reculons dans le couloir, mains dans les poches, s'éloignant d'elle.
' Faut que je file maintenant! Bonne chance pour la suite. On se reverra de toute façon '
Nina le regarda s'éloigner, se reprit, fit un pas hors de sa chambre.
' Ah, alors, à plus tard et merci encore! '
- T'auras qu'à me chanter un truc pour me remercier... Schatzi. '
Un rouge plus accentué lui montant aux joues, Nina cria, maladroitement encore ,alors que Blume disparaissait au coin d'un couloir.
' A...Arrêtes de m’appeler comme ça! '
Avant de le voir disparaitre et de claquer la porte de sa chambre.
Elle regarda l'intérieur, soupira. C'était moche. Et sombre.