Pire que l’isoloir, pire que le bûcher et la pendaison réunit, Enora était en train de subir la plus grande torture et humiliation qu’elle n’avait jamais connue. Voilà déjà 2 bonnes heures que les banshee s’acharnaient sur elle a coup de brosse, de maquillage douteux et de fringues à la limite de l’indécence. Plus le temps passait, plus l’irlandaise songeait que le suicide était son seul échappatoire. Mais qu’est-ce qu’il lui avait pris d’accepter de se laisser faire comme ça ? Ah, ça lui revenait. Enora avait surpris une discussion des filles qui discutaient de… trucs de filles. Les garçons tout ça. L’irlandaise, bien qu’extrêmement gênée, se retrouva contrainte et forcée de parler de sa relation avec Dreiden. S’en suivit un long lavage de cerveau sur le fait que ce n’était pas normal, que leur relation était au point mort, qu’il fallait absolument remédié à ça, blablabla. Au début, Enora avait réagi normalement : elle leur avait dit de se mêler de leur affaire au lieu de jouer à l’agence matrimoniale, avant de claquer la porte pour retrouver ses activités normales. Mais ça avait tourné et viré dans son pauvre crâne pendant quelques minutes. Et finalement, Enora revint sur ses pas. Certainement la plus grosse erreur de sa vie.

Rien à faire, Enora ne supportait pas de se faire pomponner de cette façon. Ça ne servait à rien, la féminité, la beauté et tous ces trucs, ce n’était pas pour elle. Elle l’avait su dès qu’elle avait décidé de s’échapper du droit chemin pour faire partie d’un gang de rue. Dans un milieu comme ça, être belle était plus un handicap qu’autre chose. Le respect des autres, elle l’avait gagné en devenant une folle furieuse, pas en battant des cils. Mais d’un côté, quelque chose la tiraillait et lui disait que pour une fois, elle pouvait essayer. Juste pour voir. Si ça se trouve, elle pourrait même y prendre goût… Saloperie de sensibilité féminine. Enora se vira cette idée du crâne. Elle était tout de même celle qui avait tenté de se couper les cheveux avec un couteau de cuisine, mais sous les ordres de Dreiden, elle ne l’avait pas fait. D’ailleurs elle le regrettait parfois, les longs cheveux lui donnait tout de suite un air délicat. Et maintenant les filles étaient en train de maltraité sa crinière, et râlant sur le fait qu’ils pourraient être mieux entretenus. Enora décida de faire profil bas et de se taire.

Enfin, elles avaient fini. La délinquante avait pensé être bonne pour les trottoirs après être passé entre les mains des filles, mais au final, elle dût admettre que c’était assez élégant. Mais rien à faire, la brunette ne trouvait pas que ça lui correspondait. Les talons, les robes, le maquillage, ce n’était décidément pas pour elle, et surtout pas pour un endroit comme Génésis. Elle se sentait mal à l’aise, et ne voulait pas sortir de la chambre dans cet état. Mais on ne peut pas vraiment dire qu’elle eut le choix. Bon très bien, elle irait jusqu’à la chambre, laisserait son comparse irlandais se payer sa tête, et retournerait à ses t-shirts informes après. De toute façon, pour le moment il n’y avait rien d’autre à faire, la soirée était bien avancée.

Dès ses premiers pas dans le couloir, elle comprit quelque chose d’essentiel : marcher avec des talons, ça fait mal et c’est difficile. Elle dut se concentrer au maximum sur ses pieds pour ne pas tomber et rester digne. Jamais traverser le couloir des dortoirs n’avait été aussi long. Insupportable. Stressant. La peur de tomber sur quelqu’un était omniprésente, et elle n’avait pas du tout besoin de ça. Enfin, la chambre se rapprochait lentement mais surement, plus que quelques mètres, et ses pieds commençaient déjà à lui faire mal. Mais quelle femme sensée peut porter des trucs pareils ? Et finalement, ce qui devait arriver arriva. Enora se vautra lamentablement sur le sol.

Elle murmura un « Saleté ! » en tentant de se remettre dignement sur ses genoux. Fort heureusement, personne n’avait été témoin, son honneur était sauf. Habillée en fille et faire une cabriole sur place, ça aurait détruit sa réputation. Elle aurait volontiers lâché un soupir de soulagement… sauf quand elle releva la tête et qu’elle vit sa bête noire en personne : Innocent. L’irlandaise songeait activement au suicide, et espérait juste qu’il soit d’humeur clémente et à ne pas se foutre de sa gueule ouvertement pendant des lustres. Elle savait qu’elle allait déguster, mais autant que ça soit le plus rapide possible.

Ça sentait quand même la mauvaise blague. Mais Enora avait du mal à savoir si elle venait du destin ou alors d’Innocent. Quoiqu’il avait l’air on ne peut plus sérieux. Et sa soudaine gentillesse lui donnait encore plus envie de le frapper. Partagée entre cette envie de briser son trip de gentleman poussiéreux et son sourire colgate, et celle de ne pas passer pour une gourde, elle resta à regarder la main qui lui tendait. Avec surprise, mais visiblement ça passait pour de la timidité vu qu’il tentait de de la rassurer. Il devait en avoir conclu qu’elle était nouvelle. Innocent était incapable de reconnaitre celle qui lui avait arraché une oreille. Juste à cause d’une petite robe et du maquillage ? Ou alors c’était les hormones qui avaient pris le pas sur le cerveau ? Rah, mystère masculin. Voilà qui l’inquiétait sur la réaction que pouvait avoir Dreiden en la voyant… Enfin, la question n’était pas là pour le moment. Elle tentait juste de me pas éclater de rire quand il dit « bien éduqué » . Voyant qu’elle n’avait toujours pas réagit, elle finit par décidé de ne pas passer pour une gourde, et prit sa main tendue pour s’aider à se relever. Le plus dur maintenant, était de cacher son accent qui la trahirait surement.

« Euh… merci. » Fit-elle en articulant un peu trop pour ne pas faire d’erreur de prononciation.

Il faisait quoi ici ? Enfin. Il devait se dire surtout ce qu’une fille fichait dans le couloir des hommes, mais il mettrait ça sur le fait qu’elle est nouvelle. Il avait des bouquins sous le bras, elle ne le savait pas lecteur. Enora ne lisait pas beaucoup, plus maintenant. C’était un truc de fille. Bon. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire maintenant ? Un seul mauvais geste trahirait sa couverture, et elle n’avait pas envie de rester plus longtemps avec lui. C’était Innocent. D’ailleurs en se penchant, il venait de faire tomber un de ses livres. Sans trop savoir pourquoi, Enora lui ramassa, en veillant à ce que sa robe courte ne la trahisse pas. Faust de Goethe. Ah, elle l’avait lu pour le lycée a une époque. Enora avait beau être prise par son gang à l’époque, elle avait toujours fait le minimum vital pour pouvoir passer sans problème dans la classe supérieure, et quitter le système scolaire le plus tôt possible.

Elle lui rendit avec un sourire qui était légèrement crispé, et enchaîna lentement en contrôlant son accent : « Je connais. J’aime bien. Histoire de pacte avec le diable, tout ça… Euh bon… je vais y aller. Je visite. »

Elle crevait d’envie de se taper la tête contre les murs tellement qu’elle se sentait ridicule. Mais c’était toujours mieux que si Innocent savait la vérité. Celle qu’Enora Stoker s’était lamentablement cassée la figure parce qu’elle portait des talons. Elle se prépara à partir et à laisser Innocent seul, sauf qu’une porte du couloir s’ouvrit. Et Marius en sortit. Malheur de malheur, si ce dragueur invétéré la croise ici, habillée comme ça, sans Dreiden, et que si il était plus malin qu’Innocent et la reconnaissait, elle ne donnait pas cher de sa peau. Bon. Instinct de survie oblige, elle fit volte-face et se dissimula derrière Innocent. Faisant passer ça pour de la timidité maladive. Honteuse et au bord de la crise de nerf, scandalisée par sa propre attitude, Enora se dit que la prochaine fois que l’envie lui prenait de suivre des conseils de filles, elle se casserait une jambe. Ça lui évitera de faire des conneries. Son rythme cardiaque s’accéléra quand elle entendit la voix de Marius :

« Bah alors Innocent ? On me présente pas ? »

Enora attrapa son poignet pour calmer ses tremblements, et surtout parce que ça la démangeait affreusement de détruire le support à lunette de cet abruti. La tête rentrée dans les épaules, les cheveux devant la figure, elle priait activement que personne ne découvre le pot aux roses.

Même voir Marius avait un bouquin en travers la figure ne la rendait pas de meilleure humeur. La gentillesse d’Innocent lui donnait décidément envie de vomir. Brebis égarée… mais bon sang, il se prenait pour qui ? Un archange ? Dans ce cas, il serait la preuve vivante que les anges n’ont pas de sexe. Elle dut se retenir encore une fois de le frapper quand il prit la peine de lui chuchoter quelque chose à oreille. Ah voyons, comme si elle ne connaissait pas Marius… Elle savait très bien qui il était et en avait fait les frais. Enfin, c’était sa faute, elle s’était planquée derrière Innocent, et donc elle se contenta d’hocher la tête, prenant soin de se cacher derrière ses longs cheveux. En bonne étrangère, Enora ne comprit pas l’allusion au fait qu’il était marseillais, ni même ce qu’était des glandes inférieures. Elle avait bien comprit que les jumeaux s’en vantaient. Dire que Raphaël pourrait presque être supportable si il était pas flanqué de son couche-partout de frangin…

« Euuuh… » Fit Enora mal à l’aise, tant qu’à faire, elle pourrait donner un peu plus de différence à son personnage qu’avec elle-même. « Désolée… je ne suis pas française. Pas savoir ce qu’est un marseillais. »

Fit-elle, se souvenant de son très mauvais dialecte à l’époque où elle arrivait à Paris avec Dreiden. Enora savait que parfois elle faisait des fautes d’accords, mais rien de bien méchant. Avant, toutes ses phrases sortaient dans le désordre et il fallait avoir de la patience pour comprendre ce qu’elle voulait dire. A force d’habitude et de bonne volonté, elle avait réussi à parler la langue française couramment, même si ce n’était pas une sinécure. Seul son accent restait. Il fallait juste qu’elle évite de briser le nez du premier venu qui lui demandait si elle était anglaise. Le pire des affronts quand on vient d’Irlande.

Il était en train de la fixer comme un animal de foire. Ça ne la rendait pas plus dans son assiette, mais elle découvrit très vite que ça ne servait à rien de se cacher. Il la regardait bien en face, et aucune connexion ne semblait se faire dans son cerveau. Il ne savait pas qui elle était, point final. Dire que tout ça c’est à cause du maquillage… c’est quelque chose à retenir mine de rien. Pour le camouflage et l’espionnage. D’ailleurs… pourquoi ne pas s’en servir tout de suite ? Enora se laissa guider par Innocent parce que visiblement il avait l’air d’insister pour lui faire visiter l’établissement. Retour arrière, et maintenant elle s’éloignait de la chambre de Dreiden. Bon, de toute façon il était encore à l’isoloir. Le plus difficile serait de tenir sur ces putains de talons aiguilles à la con. Allez Enora, même si tu passes ta vie à le cacher, t’as fait de la danse classique pendant plus de 10 ans, montre que tu es gracieuse un peu… ça doit pas être plus difficile que les pointes. Les vieux réflexes revenaient rapidement, et déjà Enora maîtrisait mieux ses pieds. Mais bon sang, les talons aiguilles devaient servir d’objet de torture pour des prisonniers de guerre tellement que c’était douloureux.

« Tu le connais bien ? » Fit-elle avec quelques minutes de retard alors qu’il l’avait amené non loin de la bibliothèque. Voyant qu’il ne la suivait pas, elle précisa « Marius. Il a l’air proche. Enfin, il te connait. Je crois. »

Rah, c’était dur de faire semblant de ne rien connaitre à la langue. Au moins, ça la dispensait de faire croire qu’elle n’avait pas d’accent, ce qui était beaucoup plus compliqué. Non après réflexion, le plus compliqué c’était de faire la conversation à Innocent. Pourquoi elle le détestait autant d’ailleurs ? Elle ne savait pas trop, il y avait quelque chose chez lui qui la répugnait, lui donner des envies de meurtres. Et puis, il y avait le challenge aussi. C’était tellement plus drôle quand on avait quelqu’un à détester et qui voulait vous taper dessus tout le temps. C’est pour ça qu’ils avaient créé cette rivalité entre les Suicides Bombers et le MadGang. Enfin, non c’était parce que Dreiden s’était emporté tout seul et avait frappé Marius. Et pourquoi Innocent la détestait ? Bah, c’était surement à cause de cette histoire d’oreille arrachée avec les dents. Elle se souvenait que ça l’avait particulièrement étonné de la part d’une fille.

Bon, bah elle serait moins stupide comme ça. Une ville dans le sud. Bah, après tout, elle-même n’était pas originaire de la capitale de son propre pays, à savoir Baile Átha Cliath, ou bien Dublin. Mais d’une ville portuaire qui avait son importance, Galway ou Gaillimh dans sa langue Natale. Enora en conclu que c’était plus ou moins la même chose pour Marseille, vu que les hommes de la bas avaient une réputation à tenir. D’ailleurs elle ne connaissait pas le nom de sa ville en français. Elle se sentait juste vraiment humiliée d’être traitée comme une idiote, vu la façon dont il parlait. Ça n’énervait aussi un peu. Mise à part Dreiden et sa patience à son égard, personne n’avait pris la peine de l’aider quand elle avait débarqué sur le sol français en ne sachant dire que bonjour et au revoir. Sauf que quand on jouait les jolies poupées, bizarrement on était même prêts à lui faire une leçon de French Kiss. Bande de cons. Elle ne comprit pas vraiment l’allusion qu’il faisait. Enora ne connaissait déjà pas très bien Alice au Pays des merveilles en Anglais et Irlandais, alors des allusions dessus en français… Non elle ne voyait pas. Elle se contenta de le regarder d’un air neutre, ne prenant même pas la peine de faire semblant de rire.

Aaaah, et maintenant il lui tenait la main. Mais quelle horreur, bats les pattes, garde tes gros doigts pour toi, laisse-moi tranquille, au viol ! Mais pourquoi elle avait joué cette mascarade sordide et malsaine ? Elle n’avait jamais pensé qu’Innocent irait voler aux secours d’une jeune fille en fleurs qui s’était perdu ici. Enora sentait sa patience la quitter, mais elle ravala encore un peu sa fierté pour le moment. Alors elle le suivit, l’entendit décrire les pièces qu’elle connaissait déjà. Une par une. Subir la façon par laquelle il la faisait passer pour une débile, chose qu’elle n’aimait que très moyennement. Elle savait qu’il essayait juste d’être gentil et compréhensif pour une étrangère, mais rien à faire. Enora n’arrivait pas à digérer ça.

Et puis finalement, la question tomba. Qu’est-ce que tu fous là, et t’as de la famille dans le coin. Etait-il enfin en train de se réveiller ? Non. Elle n’en était pas vraiment sûre.

« Possible. » Fit Enora en haussant les épaules. Vraiment, si ça marchait, elle penserait à faire une carrière de comédienne en sortant du centre. « Connait pas très bien la famille. Pas intéressée. » Si la prochaine fois qu’elle croisait Innocent, il lui demandait si sa cousine était là. Elle se promettait de lui rire au nez.

Bon, qu’est-ce qu’elle avait pu faire pour entrer ici ? Aucune idée. Prostitution, drogue… elle ne trouva pas de choses plausibles à lui sortir comme ça. Bon. Autant jouer sur son côté gentleman. Elle baissa les yeux et prit un air attristé, comme si elle avait profondément honte.

« Veux pas le dire. Pourquoi je suis ici. »

Bon, ça suffit. Ça avait assez duré. Elle avait une ouverture, c’était le moment de partir. Il prendrait ça derechef pour la timidité. Elle pria pour que ses réflexes de danseuses ne la lâche pas malgré ses talons, et se mit à dédaller purement et simplement vers les dortoirs. Elle entendait Innocent l’appeler derrière elle, mais fort heureusement, elle prenait de l’avance. Une de ses chaussures s’extirpa de son pied, mais elle réussit finalement à semer l’autre à rentrer dans une chambre. Amélia et Rebecca étaient là, lui adressèrent un regard curieux, Enora leur hurla de lui repasser ses fringues avant de se passer la tête sous l’eau pour retirer ce surplus de maquillage.

« Pas le temps de vous expliquer. J’ai juste un truc à régler. » Fit-elle pour couper court aux questions. Elle dut quand même promettre de remettre ses foutus fringues plus tard. Bande de vautours.

5 minutes plus tard, elle était déjà dehors, avec ses vêtements habituels, mais pieds nus. Pas le temps d’enfiler ses bottes. Et Innocent était visiblement toujours en train de chercher sa proie dans les dortoirs. AH. Là, elle était plus à son aise !

« Tu cherches un truc ? » L’interpella-t-elle d’un ton faussement neutre « Ton oreille peut-être ? »

Elle n’avait même pas le cœur à faire un sourcil narquois, elle tourna juste la tête en taquinant sa propre oreille avec son index.

Mais qu’est-ce qu’il avait l’air stupide. Tout seul avec sa chaussure. Il avait l’air d’avoir d’autres chats à fouetter. Tant mieux. Enora pouvait attendre qu’il soit parti, et retourner à son activité de base. Il avait juste une chaussure qu’elle devait récupérer. Mais elle n’eut pas le temps de trouver une idée pour la prendre. Sans qu’elle ne l’ait vu venir, il avait attrapé sa jambe pour y mettre la chaussure. Par réflexe, elle lui colla une gifle, mais elle eut quand même le temps de comprendre ce qui se passait. Oh bordel. Il avait compris. Tout ça n’avait servi à rien. Enora crevait d’envie de se taper la tête contre le mur. Quoique… frapper celle d’Innocent contre le mur à sa place serait une excellente idée, voire même bien meilleure. Ça ne servait à rien de nier, il ne croirait rien. Elle qui se croyait déjà humiliée, elle avait désormais touché le fond. Mais elle comprit qu’elle pouvait encore creuser quand l’idée qu’il puisse en parler à tout le monde lui effleura l’esprit. Il ne pouvait pas faire ça. Il ne DEVAIT pas faire ça. Voir les chefs des mad-gangs au courant d’une telle chose était très très mauvais pour elle.

Tout esprit logique dirait surement « c’est qu’une robe, rien de bien méchant », mais les pensées d’Enora s’opposaient farouchement à l’idée que tout le centre soit au courant de ce qu’elle avait fait. C’était hors de question, impossible. L’irlandaise voyait déjà sa réputation réduite en cendre, son charisme de leader évaporé… Bien sûr, elle pourrait dire que c’était une rumeur stupide, mais les banshee étaient au courant de la situation. Forcément, ça compliquait un peu les choses. Plus jamais, elle ne remettrait ce genre de vêtements. Ça apporte trop d’emmerdes. Le visage de la jeune femme était fermé, ses yeux semblaient vouloir le fusiller sur place. Les insultes d’Innocent eurent parfaitement l’effet escompté et elle sentait la moutarde lui monter au nez à vitesse grand v. Elle lâcha d’abord une injure en irlandais, pas vraiment convaincante pour Monsieur Delany. Et puis elle tenta de reprendre son calme et son air impérieux. Elle avait encore une petite carte à jouer.

« Gueuse, gueuse… Tu y vas fort ! Je te rappelle qu’il y a pas deux minutes, tu étais en train de la draguer cette gueuse. Tu ferais mieux de fermer ta grande gueule avant de dire des conneries comme ça. »

Bon. Elle ignorait parfaitement ce que « gueuse » voulait dire, mais c’était surement une insulte. En plus, elle n’avait pas tout à fait tort. Il avait bien sorti le numéro du chevalier servant il y avait quelques minutes. Bien qu’il semblait le nier en bloc. Mais Enora n’était pas dupe, il y avait de la gêne la dessous. Et elle était surement aussi gênée que lui. Ça pouvait leur faire un terrain d’entente pour cette fois.

« Je sais ce que tu as en tête. » Fit-elle d’un ton menaçant. D’un geste sec du pied, elle se débarrassa du talon qu’elle portait et s’approcha d’Innocent. « Mais je te préviens. Tu racontes à quiconque ce qu’il s’est passé, et non seulement je raconte à tout le monde ton petit numéro de charme… »

Elle leva une main vers l’oreille intacte d’Innocent.

« Et je te fais la symétrie de mon précédant chef d’œuvre. Tu pourras encore dire que c’est un accident de mission, on verra s’ils te croiront cette fois. Mais qui sait… vu la bande d’attardée que tu suis sagement. »

Elle était plutôt fière de ne pas avoir répondu par des coups pour cette fois. De toute façon il était aux abois, il allait parer et contrattaquer, ça ne servait à rien. Si ce n’est être frustré. Mais elle avait repris son air supérieur, malgré la situation délicate dans laquelle elle s’était mise. Elle était mentalement en train de se convaincre que c’était qu’une putain de robe, mais rien à faire, il fallait qu’il se la ferme.

Pour un coup d’essai, Enora sentait qu’elle avait fait un coup de maître. Innocent ne laissait rien transparaitre, mais il était sévèrement touché. Lui aussi avait une réputation à tenir, et ce n’était pas cette affaire qui serait à son avantage. L’idée d’en parler à son gang en retirant la partie gênante pour elle lui effleura l’idée c’est vrai, mais c’était trop risqué. Et puis si il faisait pareil de son côté, ça allait faire des histoires en plus… et ça finirait comme les récrés de l’école maternelle. Ils avaient dépassé ce stade quand même… quoique. Parfois elle se posait la question elle devait avouer. Elle se contenta de rester les bras croisés, stoïque, et fière d’elle. Un vrai chef charismatique. Mais ça ne dura guère longtemps, déjà sur les nerfs, entendre Delany parler de sous vêtement la fit légèrement sortir de ses gongs. Du moins, elle ramassa le talon aiguille, et le lança en direction du visage d’Innocent comme elle lancerait un couteau de jet. Elle ne fut pas surprise de le voir esquiver, mais elle commençait à le connaitre, et savait que dès qu’on s’attaquait à son joli petit minois, il se tenait à carreau. Qu’est-ce qu’elle était fière de l’avoir défiguré à vie, par ailleurs. Elle s’en vantait régulièrement, même si lui cachait outrageusement que c’était une fille qui lui avait fait ça. Mais elle le comprenait. Tant qu’il avait des sueurs froides en la voyant, c’était amplement suffisant pour Enora.

Elle haussa nettement un sourcil quand il lui dit qu’elle aurait pu raconter tout ça à son gang. Raconter qu’elle était en robe ? Il était dingue ? C’était précisément ce qu’elle ne voulait pas. Qui suivrait un chef en jupette mise à part éventuellement les banshee ? Les suicides étaient déjà assez septiques sur elle, inutile d’en rajouter. Elle allait lui dire de la fermer et d’arrêter de poser des questions aussi stupides, mais elle vit bien dans son regard qu’ils étaient plus seuls. Elle détourna les yeux, et reconnu Amelia. Innocent savait qu’il était en désavantage et battit en retraite. Deux femmes s’était trop pour lui. Et il décampa sans faire d’histoire.

Elle se retourna donc vers son amie, et également la propriétaire de la robe à scandale. De son yeux unique, elle scruta l’irlandaise et semblait lui demander la raison d’une telle discussion seule à seul avec son ennemi juré.

« Un soucis ? »


Amélia n’était pas dupe. Une discussion entre eux qui ne finissaient pas dans un bain de sang, c’était difficilement trouvable. Enora se gratta la nuque, pendant de dissimuler sa gêne derrière un regard neutre. Bah… à elle, elle pouvait bien dire la vérité… quoique. Non, c’était pas une bonne idée. Elle avait promis qu’elle ne dirait rien à personne, et puis si Amelia n’était pas une commère, c’était pas la meilleure personne au monde pour raconter ses secrets. Enora lui fit donc un geste de la main.

« Laisse tomber, Barbie cyclope, tu veux ? C’est juste un pétochard qui s’est barré dès qu’il a vu qu’on était en surnombre. »

Ça sembla moyennement convenir à la banshee, mais elle n’insista pas. Se contentant d’hausser les épaules. Enora n’ajouta rien d’autre, et s’approcha du talon aiguille qu’elle avait jeté sur Innocent un peu plus tôt. C’était une arme intéressante remarque… à méditer. Mais Enora ne lâcherait pas pour autant ses grosses bottes. Elle ramassa la chaussure, elle repensa un instant au conte de Cendrillon puis finalement secoua la tête, lassée de sa propre stupidité. Elle la tendit à son amie avec un sourire en coin.

« Tu crois que tu pourrais m’en trouver des moins hauts ? Pour que j’arrête de me casser la gueule. »

La borgne eut un bref sourire avant qu’elles ne retournent à la chambre. Enora jeta un regard par-dessus son épaule, persuadée que cette histoire avec Innocent n’était pas terminée. Tous les deux savaient se montrer rancuniers.