Le voyage avait été long, perchée sur ses talons vertigineux. Ses pieds semblaient être couverts de lave en fusion. Déjà qu’elle était relativement de mauvaise humeur, son altercation avec Innocent ne l’avait pas aidé à être dans un état plus correct. Et pour ce qu’elle s’apprêtait à faire, c’était pas vraiment une bonne chose. Devant la chambre qu’elle partageait avec Dreiden, ou plutôt qu’elle squattait sans aucune pudeur, la voilà qui était en train de se demander si elle ne devrait pas faire demi-tour, se laver la figure pour retirer tout le maquillage que les banshee avait passé du temps à lui faire, changer de vêtement, et passer sa soirée toute seule, trop honteuse pour sortir. D’autant plus qu’elle n’avait pas vu Dreiden depuis qu’il était passé à l’isoloir. D’ailleurs elle comptait bien lui remonter les bretelles pour avoir fait une telle connerie. Enora avait déjà du mal de passer pour une chose fragile à protéger alors qu’il prenne la sanction plein pot juste pour qu’elle puisse y échapper, elle ne supportait. Elle aurait encore préféré l’isoloir, même si c’était la source de tous ses cauchemars depuis qu’elle y avait mis les pieds pour la première fois.

Mal à l’aise, Enora arrêta de peser le pour et le contre, et finit par ouvrir la porte de la chambre. Vide. Ah bah, ça valait bien le coup d’attendre. Sa mauvaise humeur n’avait d’égal que sa frustration, et pourtant, elle décida de rester ici pour l’attendre. C’était surement un signe du destin qui lui hurlait qu’il n’était pas trop tard pour ne pas passer pour une débile. Et elle avait décidé de s’asseoir sur le lit et de l’attendre. Avant de se relever, étant trop énervée pour rester sans rien faire. Toujours sur ses échasses, elle s’avança vers une des armoires, précisément celle qui contenait un lecteur cd pour le mettre en route, avant de faire mine de s’intéresser aux quelques bouquins à côté. Non pas qu’elle avait soudainement envie de lire, mais rien que les titres et résumés l’occupait l’esprit. Bien que la seule chose qu’elle avait envie de faire pour le moment, c’est de cogner quelqu’un. Inutile de se défouler sur les objets ici, il n’y avait que les chaires sanguinolentes pour la calmer.

Enfin. La porte s’ouvrit sur Dreiden. Et déjà, Enora regrettait d’être restée. Elle détourna le regard rapidement, préférant fixer ses pieds coincés dans ces chaussures impossibles.

« Ça va je sais. J’ai l’air débile pas vrai ? »

Aucune réaction. Elle finit par lever le nez et de s’avancer prudemment vers Dreiden. Manquerait plus qu’elle tombe à nouveau, et là elle oserait plus jamais le regarder en face. Mais tout de suite, ce dont elle avait le plus peur, c’était qu’il fasse comme Innocent et ne la reconnaisse pas. Elle trouvait ça d’ailleurs assez vexant. Ça va, c’était que de la poudre douteuse sur la figure, pas non plus de quoi sauter au plafond non plus. Mais visiblement, ça changeait. Et vu la tête que tirait Dreiden, ça changeait beaucoup. Enora eut peur un instant qu’en plus du changement, l’isoloir eut des conséquences désastreuses sur sa santé mentale. Si c’était le cas, elle ne se pardonnerait jamais. D’ailleurs, il venait juste d’en sortir non ? Vu son regard vitreux, ses cernes et son incapacité à dire un mot depuis deux minutes. Enora n’en pouvait plus, et saisit Dreiden par son t-shirt en le secouant légèrement.

« Whou-ouuuh Dreiden… c’est moi Enora. Dis quelque chose, tu me fais flipper là ! »

Derrière le maquillage, sa frimousse aux yeux verts devait quand même trahir un minimum d’inquiétude. Personne n’était jamais vraiment en forme en partant de l’isoloir, et elle espérait qu’elle était en train de se faire des idées sur ce qu’avait pu subir son ami durant ce cours séjour. Il ne bougeait même pas, les yeux rivés sur elle. Non vraiment, c’était stressant. Si elle avait pas peur que la tête de l’irlandais se détache de son corps, elle lui aurait probablement collé une gifle pour tenter de le faire réagir.

C’était fini. Dreiden avait bien les neurones qui avait sautés à cause de l’isoloir. Enora était en train de se demander si la meilleure idée était de le laisser dans cet état de légume ou de demander à Loebhan d’abréger ses souffrances. Parce qu’Enora n’aurait jamais le courage de l’étouffer avec un oreiller. Voilà qu’il jouait à flexion/extension avec les bras de l’irlandaise, et marmonnant des phrases sans queue ni tête. Elle ne disait rien, se laissait faire, en lui lançant des regards inquiets, dubitatifs qu’elle espérait qu’il comprenne, mais rien. Enfin si. Un regard plus ou moins appréciateur qu’Enora ne savait pas vraiment comment interprété. Il avait déjà l’air d’aimer ce soudain changement, c’était ça de prit. Enora ne savait pas vraiment à quel saint se vouer avec lui, elle n’avait jamais eu aucun complexe sur son physique. Elle acceptait parfaitement son corps légèrement trop musclé pour celui d’une fille et ses cicatrices nacrées qui le recouvrait, même si elle le cachait toujours derrière des vêtements trop grands et qu’on ne trouvait pas au rayon fille. Pourtant elle avait déjà vu Dreiden draguait à droite à gauche avant qu’ils arrivent au centre, elle se doutait bien qu’il avait déjà connu d’autres filles, quoiqu’elle ne voulait pas vraiment le savoir. Et envers Enora, rien. Et maintenant qu’elle avait une robe courte, du maquillage et des talons… paf. Comment elle était sensée le prendre ?

Elle n’eut pas vraiment le temps de réfléchir qu’il était en train de lui rouler une pelle digne de ce nom. Okey, c’était monnaie courante entre eux depuis quelques années, mais là il allait carrément plus loin que d’habitude. Il n’en fallait pas plus pour qu’Enora soit complétement stoïque, et incapable de prononcer un mot et faire un geste. Elle le regarda sans réagir se gifler tout seul, parler de fantasme avant de s’assoir sur le lit. Enora reprit ses esprits quand enfin il retrouva son élocution et qu’il lui posa la question la plus débile qu’elle n’avait jamais entendu. Elle prit un air cynique et fit une révérence ridicule en remontant légèrement sa robe, geste qu’elle regretta rapidement vu son regard qui se fit plus insistant.

« Je me présente : Mademoiselle Stoker, votre fantasme. »

Par contre, la seconde question la fit déjà plus réagir. Mais pas dans le bon sens. Elle arqua un sourcil, trouvant ça vraiment déplacé venant de sa part. Mais bizarrement elle ne réagit pas au quart de tour. Surement parce que c’était Dreiden.

« Bon ça va hein ? C’est juste une robe, des talons et du maquillage. Pourquoi tu réagis comme ça ? » Elle émit un sifflement agacé « Rah. Je savais que ça m’allait pas. Maintenant j’ai l’air d’une conne à cause des filles… »

Elle resta sur place un moment, ne cachant même plus sa gêne. Elle était surtout incapable de savoir ce qui traversait l’esprit de Dreiden. Et puis finalement, elle retira ses talons. Les envoyant balader à l’autre bout de la chambre, avant de s’asseoir à côté de Dreiden pour se serrer contre lui. Lui faisant comprendre qu’il lui avait affreusement manqué durant cette journée.

« Je voulais t’engueuler pour être allé à l’isoloir sans moi, mais t’as déjà plus de cerveau, ça sert à rien. »

Elle resserra sa prise. Il fallait dire que pendant quelques minutes, elle avait vraiment cru qu’il avait disjoncté. Génésis n’était pas bon pour la santé mentale. Preuve était faite : une journée sans Dreiden et elle s’était transformée en allumeuse. Rah, c’était impossible d’oublier ce qu’elle portait et ça la mettait dans une position on-ne-peut-plus inconfortable. Pourtant, bizarrement, elle ne voulait pas retourner à sa chambre pour se changer. Plus maintenant, qu’il l’avait regardé avec ce regard-là. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir pour ça, l’épisode de la douche lui revenant en mémoire. Bon saaaang… mais qu’est-ce qu’elle était en train de faire…

« J’espère que ça a pas été trop … douloureux… je me sens vraiment mal que tu es dû subir ça sans moi. »

Ça ne servait à rien de s’étendre sur l’idée de l’isoloir. De toute façon elle savait que si c’était à refaire, il recommencerait. Quelque part, elle lui était reconnaissante pour avoir fait ça. Psychologiquement parlant, elle n’était pas très forte, et il y avait fort à parier qu’elle serait ressortie dans un état bien plus lamentable. Dreiden était fatigué, très fatigué, mais il supportait le caractère chiant d’Enora en silence. Alors elle laissa son égo de côté. Bon, bah en vérité, Enora devrait penser à mettre sa mauvaise foi de côté et à remercier les filles pour l’avoir « déguisé » de cette façon. Ce n’était pas le genre de fille à rougir au premier compliment venu, plutôt à lever les yeux au ciel en se disant qu’être jolie ça se servait à rien. Non c’est vrai que dans le milieu de pègre, elle avait volontairement choisie d’être garçonne, hargneuse et chiante avec tout ça. Une sorte de compensation pour n’avoir eu strictement aucun caractère quand elle était toute petite, et ce, pendant des années. Enora ne voulait pas être jolie, elle voulait être considérée comme n’importe quel type dans le milieu. Elle avait réussi son pari, et de l’autre côté, sa relation avec Dreiden faisait du surplace.

« Je l’ai fait ! » Répondit-elle quand il parla d’envoyer bouler les banshee. « Mais finalement j’ai cédé. Juste pour voir. »

Elle n’avait pas envie de répondre à la provocation, et ne dit rien quand il ajouta que ça lui allait bien. Non pas qu’elle était en train de rougir comme une pucelle farouche, elle réfléchissait, se laissait faire. Elle comptait rester comme ça encore un peu de temps, sans vraiment comprendre que cette position le gênait. Et ensuite elle le laisserait dormir et se trouverait une chambre chez les filles, Amelia lui devait bien ça. Il avait l’air tellement crevé qu’elle ne voulait pas insister. Elle aura tout le temps d’être chiante demain. Mais pour le moment, elle profitait. Elle laissait Dreiden jouer avec ses cheveux, vagabondait ses doigts dans son cou, l’embrasser avec insistance. Elle ne comprit que quelques secondes plus tard ce qu’il avait en tête, quand elle sentit ses mains sur les courbes féminines qu’elle se donnait tant de mal à dissimuler habituellement.

Ce qu’il dit sonna comme le glas : si tu sors d’ici, fais une croix sur moi. Elle le regarda d’un air ahuri alors qu’il n’avait toujours ses mains sur elle. Non pas qu’elle n’avait pas compris l’allusion, mais c’était si soudain... Bon, elle devait avouer qu’elle avait mis ces vêtements dans le but inespéré de faire un peu bouger les choses. Mais certainement pas à ce résultat. Enora ne répondit pas tout de suite, elle se demandait principalement si c’était ce qu’elle voulait. Est-ce qu’elle voulait tout arrêter par souvenir de sa mauvaise expérience. Elle passa sa main sur la joue de Dreiden, regardant ses yeux devenus plus clairs que d’habitude. Six ans passés ensemble, et il restait la seule personne qui ne l’avait jamais déçue. L’irlandaise planta ses yeux dans les siens, sûre d’elle, glissa ses mains jusqu'à celles de Dreiden pour l’encourager à continuer, et pour une fois, prit les devants en faisant glisser ses lèvres sur les siennes, avant de les approcher de l’oreille de son comparse pour lui chuchoter à son tour.

« Je n’irais nulle part. »

Elle était décidée, mais néanmoins nerveuse. Pour la bonne et simple raison qu’elle ignorait comment procéder pour la suite. Elle n’était pas stupide et savait bien comment ça marchait, d’autant qu’elle l’avait déjà vécu, mais pour arriver à ce stade, c’était une vraie traversée du désert. Enora lui confia son trouble à voix basse, plutôt honteuse de son manque d’autonomie sur le sujet. Elle laissa quand même ses doigts vagabonder sur les traits du visage de Dreiden, avant d’investir lentement son cou, et de glisser sur son torse, pour même filer avec douceur sous son t-shirt. De sa main libre, elle guida celle de l’irlandais jusqu'à la fermeture de sa robe pour qu’il entreprenne de lui retirer cet unique rempart à son intimité. Elle eut un bref sourire mutin en pensant à la lingerie de luxe que lui avait prêté avec enthousiasme les filles. Quelque chose lui disait que Dreiden apprécierait cet effort supplémentaire. Enora avait pourtant trouvé ça tellement superflu de leur part, mais maintenant, elle songeait à leur demander leur aide plusieurs fois. Tant qu’à faire, elles auraient pu lui donner un ou deux conseil pour qu’elle soit moins dans la mélasse dans une situation pareille. Sa main continuait de s’activer sur la peau nue de Dreiden, quand dans un mauvais mouvement, elle sentit qu’elle l’avait griffé. Confuse et en colère contre elle-même, elle la retira vivement.

« J’suis désolée ! C’est parti tout seul ! »

Elle se mordit la lèvre inférieure en se traitant de tous les noms intérieurement. Même dans une situation pareille il fallait qu’elle agisse comme une sauvage.

La nuit avait été courte. Et le réveil difficile. Enora se sentait lessivée, mais la sensation était beaucoup plus agréable que quand on se réveille après s’être fait sauvagement molesté. Bien au contraire. Après leurs réveils, elle se glissa dans ses bras pour demander encore un peu d’affection, bien qu’elle ait largement eu son quota la veille. Elle laissait les mains de Dreiden jouer avec ses cheveux, comme elle les avait laissé faire leur travail la veille. Enora sentait encore leur emprise sur sa peau, leur dextérité, leur douceur. Elle qui avait sévèrement appréhendé ce moment, au final, elle avait juste eu à se laisser guider. L’irlandaise jugea finalement qu’un tour à la douche était de mise. Elle en profita pour jeter un coup d’œil à la robe qu’elle portait la veille, ou du moins ce qu’il en restait… Dreiden n’avait pas eu beaucoup de patience pour lui retirait, elle était importable. Les filles allaient lui passer un savon, soit lui rire au nez. Ou bien les deux.

Ils finirent enfin par sortir de leur chambre, pour se diriger vers le réfectoire. Enora avait remis ses affaires personnelles, bien décidée à ne pas remettre ce genre de vêtements avant un bon bout de temps. Et encore, il faudrait qu’elle passe sur la torture avant de réessayer l’expérience. Elle préférait encore passer toute la journée en sous-vêtements. Même topo pour les talons aiguilles, elle se contenterait de faire un minimum d’effort pour le reste. Et encore, elle trouvait que c’était vraiment trop stupide de faire ça alors qu’en mission ça coulerait et ne servirait plus à rien, si ce n’est d’avoir une tête de zombie. C’est tout naturellement qu’elle et Dreiden se dirigèrent vers la table ou Loebhan et Eagle étaient déjà assis. Tous les deux avaient la même tête blasée. Enora se demandait si Loebhan allait rejoindre Eagle quand Enora le virait de la chambre. Elle se gardait bien de poser la question, parce qu’il y avait relativement peu de chance pour que le breton y réponde. Elle appréciait moyen la façon avec laquelle il se mit à les regarder. Comme si pendant une demi-seconde, elle avait pu lire la surprise dans ses yeux. Bordel. Avant qu’il ne se mette à parler, elle savait qu’il avait deviné. Mais bon sang. Comment il faisait ?! Il n’y avait strictement aucun indice sur leur visage, leur comportement, mais il ne savait. Son regard s’assombrit quand il se mit à les pointer du doigt avant d’essuyer de fausses larmes. Bah voyons. Comme si Dreiden était pur avant qu’ils ne le fassent.

« Bon ça va les mouches à merde... faites pas les surpris. On sait très bien que les paris allaient de bon train sur ça. »

Fit elle d’un ton morne. Elle n’aimait pas spécialement que sa vie sexuelle soit une espèce de foire où tout le monde pouvait y jeter un coup d’œil et donner son point de vue. C’était relativement… gênant. Elle ne pensait pas être au bout de ses peines jusqu'à ce que quelqu’un lui tapote l’épaule. L’irlandaise jeta un coup d’œil derrière elle pour voir Amelia avec un sourire jusqu’aux oreilles et une lueur dans son unique œil qui ne plaisait que moyennement à Enora. Cette dernière déglutit quand son amie lui demanda, cachant très mal son excitation :

« Alors. Tu me rends ma robe quand ? »

Putain mais tu peux pas le dire plus fort tant que tu y es ?! Stupide !

« Euuh… c’est un peu plus compliqué que ça. Je t’expliquerais »

Comment lui expliquer que la dite Robe était réduise à l’état de lambeaux sur le sol de sa chambre ? Elle n’allait pas aimer ça. Enora préférait encore d’habitude ou elles parlaient de la meilleure façon de torturer un mec. La pirate jeta un œil à Dreiden, puis à Enora. Mais sans demander son reste, la banshee quitta les lieux. Bon, très bien. Enora se retourna vers les trois hommes, et indiqua du regard qu’elle ne voulait aucune remarque. Loebhan ne se priva pas pour en faire, ce qui mit la jeune fille très mal à l’aise, et surtout de très mauvais poil. Et encore, heureusement qu’elle supportait les blagues de cul.

Enora pensait partir et les laisser entre eux, quand quelque chose de pire arriva. L’irlandaise sentit qu’on la saisissait par le bras et la forcer à se mettre debout. Amelia avait ramené une bonne partie des banshee. Les filles s’excusèrent « d’emprunter » Enora un instant pour l’amener un peu plus loin sur une autre table et la forcer à s’asseoir avant de l’entourer.

« Bon allez. Raconte. » Commença Aby. Voyant que le visage d’Enora avait perdu tout ses couleurs, elle ajouta impatiente : « On t’a prêté des fringues à condition que tu nous raconte tout ! Fais pas ta mijaurée ! »

« Quoi j’ai dit ça moi ?... » Fit Enora avec les yeux révulsés, bien qu’ignorant ce qu’était une « mijaurée » Le regard insistant des banshee lui donnait des frissons dans le dos. Elle tenta bien inutilement un compromis «Vous ne voulez pas qu’on fasse ça plus tard ? Y’a des trucs plus important comme par exemple … »

Rien à faire. Les filles ne lâchaient pas l’affaire, et elles ne voulaient pas non plus aller dans une des chambres pour qu’elles soient plus tranquilles. C’était le déballage de ses ébats, ici et maintenant, dans un lieu publique.

Enora chercha quelque chose à lui répondre, mais rien ne lui vint. Elle ne trouva pas d’explication sur la raison qui avait fait qu’elle n’avait pas été capable de virer les banshees. L’irlandaise avait la désagréable impression de leur devoir quelque chose, et elle n’aimait pas ça du tout. Il fallait qu’elle reprenne son attitude normale, sinon, ça allait très vite devenir ingérable. Bientôt tout le monde la considérerait comme une midinette. Elle s’insulta intérieurement, mais fort heureusement, Dreiden n’insista pas. Ils se retrouvèrent à marcher sans but, ensemble, comme d’habitude. Comme si rien n’avait changé. Enora se sentait bien, et rassurée. Comme si elle n’avait pas constamment à faire ses preuves. Elle le sentait juste vexé, un peu en colère, mais elle mettait ça sur le dos des filles. La tension retombait petit à petit, et la jeune femme ne sut bientôt plus quoi faire, elle pencha pour le naturel et était sur le point de lui proposer d’aller à la salle de musique rejoindre les autres. Mais on les appela pour une mission.

Elle lâcha un soupir alors qu’ils se dirigèrent ensemble au lieu convenu. Elle aurait aimé passé du temps tranquillement avec lui. En plus ils n’avaient pas vraiment dormit cette nuit, et ils seraient surement bien peu efficace. C’est d’ailleurs bien mesquin de la part de l’administration de demander à Dreiden de participer alors qu’il sortait à peine de l’isoloir. Mais elle ne se faisait pas de soucis pour eux. Ils n’étaient pas arrivés jusqu’ici pour mourir aujourd’hui, ça serait du pur foutage de gueule de la part du destin. Enora ne voulait pas lui laisser ce privilège. Elle trouva ses bons vieux points américains dans un coin et suivit le groupe dans le wagon. Ils en sortirent deux heures plus tard. Pas vraiment blessés. Mais en éventrant une des taches, le sang goudronneux était littéralement tombé sur Enora. Et elle n’avait pas fière allure. Ses vêtements étaient foutus et il lui faudrait des heures pour se débarrasser de l’odeur, ainsi que pour laver ses longs cheveux sans qu’ils soient poisseux. D’un air à la fois blasé et dégouté, elle souleva et regarda une de ses mèches entre deux doigts alors qu’ils marchaient dans le couloir.

« Regarde-moi ça… je suis sûre que c’est toxique en plus… C'est un truc à choper la peste. » Fit-elle en parlant en irlandais sans trop s’en rendre compte. Elle était trop fatiguée pour faire une phrase correcte dans une langue qui n’était pas maternelle.

Elle jugea qu’il était hautement plus urgent de se laver avant de se rendre chez doc. Si elle salissait son précieux sanctuaire, il allait surement fondre un câble. Et puis mise à part quelques bleus, Dreiden et elle avaient été épargnés, pour une fois c’était les autres qui avaient tout prit. Le reste du groupe était parti à l’infirmerie, Enora proposa à Dreiden de se rendre à la salle de musique avec le reste des suicides bombers le temps qu’elle soit présentable. Quoique l’idée de faire bouffer à Loebhan du sang de tâche coagulé lui arracha un bref rictus. Il partit donc retrouver les autres pendant qu’elle se rendait aux dortoirs. En chemin, elle croisa les banshee, lesquelles eurent bien l’occasion d’éclater de rire devant la dégaine de l’irlandaise. Cette dernière étalait ça comme un trophée de guerre, trouvant plus glorieux de se balader couverte de sang de ses ennemis plutôt que de se retrouver les pieds devants après une mission. Ça c’était ridicule. Non le sang c’était juste dégoutant, salissant, et en plus ça pue. Mais rien de honteux. Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle crèverait, peut-être demain.

Au début le centre avait cet aspect inquiétant, où Enora se demandant tous les jours si elle allait finir par expirer avant de sortir d’ici. Mais plus le temps avançait, plus l’idée de sortir était devenu impensable, alors que mourir était bel et bien une option. Peut-être la seule à la longue. Mais elle avait fini par s’y faire. L’irlandaise retrouva le chemin de sa chambre, après avoir salué les filles. La première chose qu’elle fit, fut retirer ses vêtements inutilisables et de les jeter sur le sol avec une grimace de dégout. Elle avait l’impression de nager dans la crasse depuis tout à l’heure. Elle fonça sous la douche sans plus de cérémonie, frottant ardemment sa peau et son cuir chevelu pour faire disparaitre tout ça, voyant l’eau prendre des couleurs noirâtres assez ragoutantes. Le but du jeu étant qu’elle reste clair.

A grand coup de jet d’eau et de savon, elle avait enfin réussit à se débarrasser du sang coagulé. Maintenant elle pouvait profiter de sa douche. Certaines parties de sa peau étaient rouges à force d’avoir frotté, et l’eau brulante ne l’épargnait pas plus. Elle sursauta quand elle sentit quelqu’un derrière elle et la bâillonnée. Elle eut la même réaction que d’habitude dans ce genre de situation : mordre. Pas bien fort certes, mais de quoi lui faire une petite marque sur le doigt. Bien évidemment, elle ne s’attendait pas à ce que Dreiden vienne la rejoindre comme ça sans préavis. Elle l’avait entendu rentrer bien sûr, mais ça ne lui avait pas traversé une seule seconde l’esprit qu’il pouvait faire ça. Comme quoi, elle devait progresser dans cette matière. Et vite. Parce que si il lui faisait des coups du même genre régulièrement, Enora avait intérêt de gérer très rapidement. Non pas que c’était désagréable, mais c’était surprenant. Elle le regarda avec des yeux ronds quand il se pencha pour ramasser le savon qu’elle avait laissé tomber. Tout en tentant de comprimer les frissons qu’elle ressentait en sentant ses doigts le long de ses jambes. Mais c’était peine perdue, elle sentait bien que Dreiden savait qu’elle n’était pas insensible à ses gestes, et que les battements de son cœur avaient nettement augmentés quand il se mit à lui mordiller l’oreille.

Elle crut presque un moment que ses poumons recommençaient à s’affoler. Mais non, fausse alerte, ce qu’elle ressentait était trop agréable pour être une crise. Bon, assez de jouer les saintes nitouches. Comme si elle était aussi frigide qu’un inlandsis. Pas après ce qui s’était passé cette nuit. Elle lui offrit un sourire confiant avant de passer ses petits bras autour du cou de son comparse irlandais et de lui murmurer une approbation en irlandais. Ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas parler dans leur langue natale. C’était à la base pour entraîner Enora à parler un français correct, et puis c’était devenu une habitude. Mais Enora trouvait subitement que leur langue natale avait quelque chose de plus intime, une espèce d’échange affectueux. Une fois qu’ils eurent fini de parler, ils utilisèrent leurs langues d’une autre manière, pendant qu’elle laissait ses doigts descendre jusqu’au pantalon qu’il avait bien inutilement gardé, pour passer la vitesse supérieure. Un pantalon sous une douche… mais quelle idée. Il ne voulait pas l’effrayer ? Rien précipiter ? Un effort bien superflu. Il n’avait pas à aller sous la douche avec elle dans ce cas. Mais Enora n’irait pas se plaindre.

Quelques instants plus tard, ils étaient propres et secs. Quoique les cheveux d’Enora mettraient du temps à sécher bien sûr. L’adrénaline redescendue, les cernes de Dreiden faisaient leur apparition, et les quelques griffures qu’ils venaient de recevoir semblaient lui faire effet. De même qu’Enora remarquait qu’elle avait quelques bleus supplémentaires à certaines parties du corps. C’est tout naturellement qu’ils décidèrent d’aller se coucher tôt. Le passage au l’isoloir de Dreiden, ainsi que la nuit agitée et la mission les avaient passablement lessivés. Le centre était plein d’idées pour user jusqu’à la moelle ses pensionnaires. Il valait mieux rattraper leur nuit avant qu’une mauvaise surprise leur tombe dessus. Visiblement épuisé par sa performance, Dreiden ne se fit pas prier pour tituber vers leur lit, prenant juste le temps d’enfiler quelque chose pour dormir. Enora le suivit, sentant la fatigue prenant le dessus chez elle aussi.

La jeune fille fut tentée de prolonger un petit peu, mais il était déjà en train de fermer les yeux, évitant ainsi d’enchaîner sa 3eme nuit blanche. L’irlandaise se cala dans ses bras en attendant que le sommeil vienne. Les suicides devaient se demander où il étaient passés, mais bon, ils pouvaient bien survivre quelques heures sans eux. Au pire il y avait Eagle qui gèrerait tout ça pendant ce laps de temps. Il lui avait le temps de dormir… quoique, avec Loebhan à côté ça serait étonnant. Enfin bref. Ils étaient à quelques dizaines de lieux de savoir qu’une nouvelle alerte allait sonner et perturber leur sommeil. Genesis était sans aucune pitié. C’était loin d’être le meilleur endroit pour entretenir une relation, mais fallait-il attendre d’en sortir un jour ? Bien sûr que non.