Elle avait eu une mission aujourd'hui. Dans un monde pleins de voitures de course et de bulldogs. Elle ignorait qui était le propriétaire de ce monde-là mais une chose était sûre: elle n'avait franchement pas envie de le connaître.

Astrolabe s'étira les bras. Forcément, elle n'avait pas été d'une grande utilité. Elle ne savait pas se battre et puis les anciens avaient eu l'air tellement pressés d'en finir qu'ils avaient fait une grande majorité du travail. Elle était restée en retrait, elle, toute penaude, aux côtés de quelques autres nouveaux un peu manchots, toujours un peu fascinés et effrayés à la fois par ce 'nouveau monde' qu'ils découvraient à peine.
Dans la foulée, elle avait retrouvée là-bas une amie qu'elle s'était faite il y a quelques jours de là. Une jolie blonde un peu plus âgée qu'elle, avec qui elle avait déjà exécutée sa première mission. Marina.
Marina avait vingt-deux ans et était au centre depuis trois ans et demi. Les tâches, ça la connaissait. Sa présence rassurait la petite rousse. Astrolabe ne parlait à presque personne, échangeait quelques rares regards avec certains nouveaux aux mines inoffensives, baissaient les yeux quand un de ces anciens aux tronches de loubard levait le regard sur elle.
Alors quand Marina passait par là, forcément, un grand soulagement se percevait dans tous les membres de son corps. Quelqu'un de cool et d'expérimenté! Elle lui sautait toujours dessus comme si elle était le Messie.

Oh bien sûr, la blonde, elle n'avait pas grand chose à faire d'une gamine comme Astrolabe, mais par politesse et sûrement par pitié, elle lui souriait toujours, lui lançait ses petits " ça va aller. " de son air maternel avant les missions.

" J'ai vraiment eu de la chance de tomber sur toi!
- Je ne suis pas la vierge Marie, tu sais. "

Marina se moquait toujours un peu d'elle, de ses grands airs, de ses talons de quinze centimètre, de sa jeunesse. Puis elle lui lançait un petit signe de main et repartait à des occupations qu' Astrolabe savait plus intéressantes que sa compagnie. Mais elle s'en fichait, Astrolabe, qu'elle soit moins interagissante qu'autre chose. Elle avait cette désagréable impression d'avoir été lâchée dans la cage aux lions, alors que quelqu'un la supporte et l'aide, c'était sa bouée de secours.


Aujourd'hui encore, Marina était partie au loin en lui faisant un petit signe militaire. Astrolabe s'était alors engouffrée seule dans les couloirs du centre, son casque d' Ipod sur ses oreilles. Un moyen comme un autre de fuir toutes rencontres ou toute angoisse. Si ça continué ainsi, elle allait rappeler à l'aide ses amis imaginaires.
Astrolabe n'avait pas l'air comme ça, mais dans un univers si peu connu, où elle n'avait même pas le droit de communiquer avec ses amis ou son frère, elle était morte de timidité. Comment parler naturellement à des délinquants dans une telle atmosphère?
Son frère, d'ailleurs, elle était sûre qu'il devait être malade de ne recevoir aucune nouvelle, lui qui ne savait pas, que, du centre, la pauvre petite sœur ne devait avoir aucun contact avec le monde extérieur, qu'elle le veuille ou non.

Astrolabe sélectionna une chanson au hasard, reconnu Live Good des Naïve New Beaters. Hésita à changer. Cette chanson n'était pas vraiment faite pour rassurer, et puis elle voulait une chanson joyeuse, qui la fasse voir ce monde si sombre, aux teintes de gris si sinistres, un tout petit mieux. Mais elle considéra que changer de chanson serait un crime envers les Naïve New Beaters. Alors la laissa avec un petit soupire. Elle aurait du accepter la prison, au moins elle aurait vu le soleil.

Elle finit par trouver le dortoir des filles. Elle avait beau résider ici depuis maintenant plus d'un mois, elle se trompait toujours autant dans les directions. Le morceau se terminait alors qu'elle entra dans ce qu'elle croyait être sa chambre.

Jamais Enora n’aurait pensé avoir des amies au féminin avant d’arriver au centre. Sa vie entière elle l’avait passé avec des hommes et en méprisant tout ce qui touchait à la féminité et au copinage. A Genesis, elle avait pu rencontrer d’autres filles comme elle, et sans pour autant devenir une paria. En fait, elle se sentait presque dans un moule. Mais il y avait toujours quelque chose chez les gens d’ici pour comprendre qu’ils n’étaient pas normaux et que par conséquent, il n’y avait aucun moule. Il y avait juste les différentes alliances, et comment s’en accommodé le mieux. Enora n’était pas dupe au point de ne pas comprendre que l’arrangement entre les Suicides et le Banshee étaient dût à son amitié avec Amelia. Pourtant les deux gangs avaient un point d’honneur à ne pas se mélanger, et c’était l’irlandaise qui servait de passerelle entre eux. Les banshee étaient dans l’ensemble ultra féministe et il était inutile de mettre un homme dans la conversation. Les filles faisaient confiance à Enora, et par conséquent la jeune fille avait le droit d’assister à certaines réunions. Principalement quand il s’agissait de faire le point ou d’organiser quelque chose contre les Mad.

Mais bon, les filles c’était bien, mais c’était quand même relativement saoulant. Surtout quand elles parlaient tous en même temps avec leur petites voix… Enora se rendit à la dite chambre en trainant des pieds, pas vraiment motivée à passer du temps avec elles pour une fois. Elle voulait aller rejoindre les garçons en salle de musique qui devaient être en train de répéter. Ou du moins essayer. Sur place, Amelia était là, avec quelques autres filles, mais le compte était loin d’être au complet. Il fallait attendre un peu. Après avoir brièvement saluée les filles présentes, elle n’allait pas non plus leur faire la bise, Enora s’approcha d’Amelia qui la fixait de son unique œil valide.

« Merci d’être venue. Je sais que ça te saoule. » Lui-dit-elle à mi-voix alors que les autres filles discutaient dans leur coin.
« T’inquiètes, Barbie cyclope. Si ça me saoulait tant que ça je ne viendrais pas. » Barbie cyclope. Enora aimait les surnoms bizarres. Dreiden était le seul à y échapper.

De toute façon elle ne resterait pas longtemps. Enora ne faisait pas l’unanimité, et certaines filles trouvaient anormale qu’elle participe aux réunions. Mais c’était juste une affaire de communautarisme. Les retardataires finirent par se montrer, et la réunion put débuter. Tout d’abord, il fallait mettre au point un plan d’action contre le Madgang. Pourquoi ? Parce qu’il fallait bien le faire. On n’est pas rivaux pour rien. Enora attaqua la conversation pour parler de ce que les suicides envisageaient de faire, mais un bruit la dérangea dans son speech. Une fille venait d’allumer une cigarette. Hors de question de lui dire d’éteindre, ça ferrait hausser un sourcil de la part des filles présentes, et elles commenceraient à soupçonner quelque chose. Elle avala sa salive et fit un brief un peu succinct. Amelia continua sur la lancée générale pour parler d’un plan général. Quelque chose d’un peu plus remuant que de les provoquer à chaque fois qu’on les croisait. Il s’agissait de saboter leurs armes avant une mission.

C’est précisément à ce moment que la morte s’ouvrit. Sur une petite rouquine.

Les regards se dirigèrent fissa sur l’intruse. Des regards noirs. Enora, qui avait le regard fixé sur la fumée de cigarette qui menaçait de venir jusqu’à elle, trouva une excellente excuse pour quitter la réunion.

« Je m’occupe d’elle. Vous me ferrez un résumé. »

L’irlandaise se dirigea ni une, ni deux vers l’inconnue pour la saisir par le bras et l’éloigner dans le couloir. Non sans avoir claqué la porte auparavant. Après quelques pas, elle stoppa et jeta un œil sur la jeune fille. C’était plutôt rare qu’elle tombe sur plus petite qu’elle. Pas de beaucoup certes, mais quand même. Et puis elle fit qu’elle portait des talons vertigineux qui la grandissaient encore. Elle était mince, beaucoup plus qu’Enora. Mais Enora n’a jamais été mince et avait toujours eu une musculature non négligeable.

« Tu sais que les trois quarts des filles qui sont dans cette salle veulent ta peau parce que tu as entendu des choses qu’il ne fallait pas ? Si tu me dis précisément ce que tu as entendu, et que tu me jure d'en parler à personne d'autre, je pourrais leur dire de te foutre la paix. »

Saleté d’accent irlandais qui ne voulait pas partir. Ça polluait son effet dramatique à chaque fois.

Quelques filles assises et étalées par terre dans la chambre, une odeur de parfum et surtout une odeur de cigarette. Toutes s'arrêtèrent de parler, et comme dans un vieux film d'action en noir et blancé, toutes tournèrent d'un même mouvement la tête vers elle. Astrolabe déglutit. Ce n'était pas sa chambre. Il y avait un poster de Mucha dans sa chambre. Flirt. Juste au dessus de son bureau. Elle s'était trompée de chambre. C'était la fin.

" Je m’occupe d’elle. Vous me ferrez un résumé.
- Non non non non! Ce n'est vraiment pas la peine, j'vais partir, je pars, j'me suis trompée et... "

Mais déjà la fille se levait et lui empoignait sèchement le bras pour la faire sortir. Astrolabe grimaça. Et voilà. Avec ces foutues portes de chambre qui se ressemblent toutes, et ces fichues délinquantes (remarquez qu'elle est plus polie avec les délinquantes qu'avec les portes ) qui s'étaient senties obligées de se lancer dans des réunions privées sans fermer à clef leur QG adoré, elle allait se faire découper rondelles,puis rôtir, puis manger avec des épices et du ketchup par toutes ces filles, en espérant qu'elle ai assez de viande en réserve pour nourrir toute cette bande-là.

Et voilà qu'elle avait faim.

Et la fille la regardait. La fille était un peu plus grande qu'elle, et elle la regardait. Avec un regard pas ultra gentil. Du style ' grr, je vais te manger'.
Et Astrolabe, en face d'elle, elle était plus 'maman j'ai peur de la dame!'
Et forcément, Marina n'était pas là pour la sauver, pour la sortir du pétrin, pour taper les méchants, comme toujours. Elle aurait bien fait appel à ses amis imaginaires, mais le problème était que, voilà, les amis imaginaires c'est... Imaginaires. Et ni Mathias et Julien ne pourraient la délivrer pour de vrai.
Elle allait juste se faire trucider, puis cuire, puis dévorer. Triste destin qu'Astrolabe avait là.

" Tu sais que les trois quarts des filles qui sont dans cette salle veulent ta peau parce que tu as entendu des choses qu’il ne fallait pas ? Si tu me dis précisément ce que tu as entendu, et que tu me jure d'en parler à personne d'autre, je pourrais leur dire de te foutre la paix.
- J'ai rien entendu du tout du tout du tout! " assura Astrolabe en secouant nerveusement al tête. " J'avais mon Ipod. Je me suis trompée de chambre. Je suis nouvelle. Je connais pas encore tout très bien eeeet.. "
Et l'autre ne la lâchait pas. Astrolabe souffla bruyamment, laissant sentir un certain stress. Elle tritura ses écouteurs.
" Le seul et unique mot que j'ai entendu c'est Mad Gang et je sais pas du tout ce que c'est et j'ai pas du tout du tout envie de savoir ce que c'est. "

Ça promet. Si Enora aimait bien qu’on la regarde avec peur, mais là c’était quand même relativement pitoyable. Pour une fois qu’elle ne faisait pas de menace gratuite. Non c’était vraiment l’hopital qui se foutait de la charité là. Enfin, au moins l’irlandaise n’aurait pas à subir cette réunion vaguement féministe, et elle était délivrée de cette horrible odeur de cigarette. Amelia râlerait peut être un peu, mais bon hein. Enora n’était pas une banshee, elle avait juste fait acte de présence à cause de leur ralliement, et ça s’arrêtait là. Hors de question de quitter les Suicides Bombers. Bon pour le moment, il fallait juste faire parler cette petite rouquine, et quitte à ce qu’elle ait peur de la brunette, autant s’en servir pour faire pression sur elle. En temps normal, elle l’aurait surement frappé un petit coup, juste pour marquer le ton. Mais là non. Même pas envie. La rouquine était si chétive, si petite et si misérable qu’Enora ne voyait même pas l’intérêt. Il lui avait à peine suffit de faire des gros yeux pour qu’elle dise la vérité. Vérité relativement bizarre d’ailleurs. Elle ne savait pas qui était le madgang ? Elle était arrivé y’a une minute ou quoi ?

« Tu ne connais pas les gangs ? » Fit Enora en cachant mal son étonnement. « Tu te fous de moi, c’est pas possible. »

Le regard que lui lança son interlocutrice semblait pourtant confirmer le contraire. Enora se frotta les paupières en soupirant bruyamment avant de répliquer avec un calme olympien.

« T’as bien dût assister à des bagarres depuis que t’es arrivée ici non ? Et personne n’a pris la peine de te parler des gangs ? Putain, tu dois pas avoir beaucoup de potes. »

Elle avait beau dire qu’elle ne voulait pas savoir ce que c’était, si elle tenait à avoir une petite chance de pas finir dans de sales draps, il faudrait qu’elle l’apprenne tôt au tard. Enora se força à chasser de sa pensée toutes les choses gores que pourrait faire les tarés du centre à une petite louloute comme ça. Si elle n’avait pas eu le choix, l’irlandaise aurait pas hésité à faire de même d’ailleurs. De toute façon il y avait relativement peu de chance qu’elle survive longtemps avec un caractère pareil. Du genre à être sur le point de fondre en larme dès qu’on monte un peu le ton. C’était inutile de la monter contre les mad, Enora n’était pas franchement chaude pour accueillir un membre comme ça chez les suicides. Elle se ferait bouffée toute crue par les autres membres. Ils n’avaient pas l’air méchant comme ça, mais ce n’était pas des angelots non plus. Quant aux banshee… c’était pareil, voire pire. Les filles c’est toujours pire. Enora était bien placée pour le savoir. Après tout, à peine arrivé elle avait arraché un bout d’oreille d’un type avec les dents. Faut bien ça pour se faire respecter.

« Si tu veux pas en savoir plus, c’est ok pour moi. J’espère pour toi qu’on ne récupèrera pas ton cadavre dans un coin du couloir. »

C’était sûr, elle savait parfaitement parler de façon rassurante aux gens. Mais bon, fallait bien qu’elle sache ce qui allait l’attendre dans un environnement aussi hostile. Ce n’était pas sa faute non plus si c’était la jungle ici. Fallait s’en sortir du mieux qu’on le pouvait c’est tout. Enora allait partir rejoindre ses confrères et planter Astrolabe au milieu du couloir, mais quand elle fit volteface, elle vit une tête blanche dans le couloir qui semblait les avoir observés en silence. Et merde, Innocent et il avait pas vraiment l’air de bonne humeur. En temps normal, elle serait allée ouvertement le provoquer, mais Enora était l’esclave de ses changements d’humeur, et elle avait juste envie d’éviter le grabuge. Si il trainait dans le couloir des dortoirs des filles, c’était qu’il avait envie de se battre, et vu qu’il avait les yeux rivés sur Astrolabe qui discutait avec la responsable de son oreille en moins, c’était mauvais signe pour la rouquine. Putain, et ça se dit gentleman. Pauvre type.

Sans rien ajouter, Enora attrapa le bras d’Astrolabe et la tira dans la direction opposé en pressant le pas, non sans avoir jeté un dernier regard à Innocent qui signifiait « Si tu bouges vieux, tu sais ce qui va se passer. » Une fois à distance respectable Enora précisa à voix basse :

« Ça c’était un membre du Madgang. Et la prochaine fois que tu en croiseras un, je ne suis pas certaine que je serais là pour l’empêcher te sauter dessus. »

Oui, Astrolabe avait peur. Astrolabe avait peur, parce qu'a part écrire sur les murs, elle n'avait franchement rien d'une délinquante. Aucune défense. Et aucun instinct de survie dans ce genre de lieu.
Il n'y avait-il donc aucun paumé comme elle, ici? Quelqu'un d'à peu près normal? Un type qui aurait juste fait une petite bêtise, un innocent tombé au mauvais moment au mauvais endroit, un gars sympa qui vous fixe pas l'air de dire ' wesh j'vais t'casser ta gueule', mais plutôt du style gentil, normal, froid, même, si il le faut?
Naaan, ici il n'y avait que des mecs flippants et des pestes en robe courtes. Bienvenue au pays des méchants, Astrolabe. Elle se sentait comme une Alice qui se serait trompé de Wonderland. Et elle se sentait vexée, aussi. Froissée? Nan, j'ai pas d'amis, j'ai pas envie d'en avoir, tu me fais peur, je vais aller m'enfermer dans ma chambre et allez tous vous faire mettre.

" T’as bien dût assister à des bagarres depuis que t’es arrivée ici non ?... "
Sage jeune fille, elle avait vaguement hoché la tête, cherchant à se remémorer quelques affrontements entre élèves desquels elle s'était toujours assez facilement échappée.
" Et personne n’a pris la peine de te parler des gangs ? Putain, tu dois pas avoir beaucoup de potes. "
Et cette fois, la sage jeune fille pinça du nez.

" Je. Suis. Nouvelle. " fit-elle encore en appuyant un peu plus ses mots, ne cherchant pas à parler trop fort non plus, de peur d'offenser la jeune brune.

" Si tu veux pas en savoir plus, c’est ok pour moi. J’espère pour toi qu’on ne récupèrera pas ton cadavre dans un coin du couloir. "

D'accord, elle flippait. Aussi kitch qu'était cette scène, la petite rousse flippait. Tout simplement parce qu'elle était trop timide, trop frêle, trop petite, trop... Rousse. Et dieu savait à quel point certains français n'aimaient pas les rousses. Il suffisait de regarder le nombre de personnes qui rejoignaient les groupes anti-roux sur Facebook. Elle savait bien qu'elle aurait du se teindre un blonde, plus jeune. Mais problème parental, elle avait du accepter ses gênes.
Elle grimaça, regarda un peu sur le côté. Cette fille-là devait jouer la comédie; du moins elle espérait. Les jeunes mis ici étaient des délinquants - oui - mais pas des criminels. Elle n'avait, si elle ne s'impliquait pas dans ces gangs, si elle se mettait de côté et attendait que les années passent, sûrement peu de chance d'avoir des ennuis avec qui que ce soit qui puisse terminer en violence physique.
Astrolabe s’apprêtait donc à repartir, à s'excuser une nouvelle fois, à se faire oublier, quand ce type passa dans le couloir, tout près d'elles.
La rouquine ne bougea pas, se frigorifia même. Il la regardait, de son air de grand méchant loup. Puis, une nouvelle fois, le brune lui tira le bras. Et elle la suivit docilement, la ridicule Astrolabe, presque ravie que celle-ci est prit cette initiative.
" Ça c’était un membre du Madgang. Et la prochaine fois que tu en croiseras un, je ne suis pas certaine que je serais là pour l’empêcher te sauter dessus. "
Le sang d'Astrolabe ne fit qu'un tour.

" NON! J'en ai marre! " fit-elle prestement d'un air semi-hystérique, avant de se calmer un tout petit peu plus. " C'est quoi cet endroit, hein? Ça existe pas les gens normaux? Il me voulait quoi, l'autre, me manger? "
Elle s'écarta d'un pas d'Enora, la mine abasourdie.
" Je n'ai rien fait, je n'ai rien entendu, je ne f'rais partie d'aucun gang et... Et... " Elle pointa le doigt sur le bout du couloir. " Ce mec ne me fera rien! Parce que je serais en dehors de ça! "

Si le centre se vantait d’être un premier pas vers la réinsertion, Enora avait vite compris qu’il n’en était rien du tout. On développait l’agressivité des jeunes d’ici à leur paroxysme, les forçait à tuer des choses qu’ils ne connaissaient pas et les privait de soleil. Quoi de mieux pour transformer le dernier des agneaux en parfait malade mental avide de bouffer son prochain ? Créer des gangs avait jeté de l’huile sur le feu. Mais au moins, Enora ne s’était pas retrouvé totalement dépaysée. Pas autant que quand elle avait dût quitter l’Irlande pour un pays qu’elle ne connaissait pas et dont elle ne parlait même pas la langue. Les débuts en France avaient été beaucoup plus difficiles que ses débuts dans le centre. Les règles d’ici semblaient être là pour deux raisons. La première serait de les soumettre totalement, aussi bien par sécurité que par délire pervers. Et la seconde, de leur donner envie de transgresser. Enora n’avait que ça en tête. Elle aimait se battre aussi bien pour elle que parce que ça faisait chier les surveillants. Mais Enora n’aimait pas l’isoloir. Oublier tout ce qui se passait là-bas était impossible, mais éviter d’en parler était encore le meilleur moyen d’éviter de s’en souvenir. Enora jeta un regard derrière elle, ravie de voir qu’Innocent ne les avait pas suivis. Elle avait juré l’entendre grogner. Leur prochaine escarmouche ne saurait tarder de toute façon. Suffisait juste qu’Enora soit de plus mauvaise humeur pour qu’elle lance l’offensive, juste avec une petite insulte envers la virilité de Monsieur Delany, et hop. Le tour était joué.

Enora devait l’admettre, la réaction de la rouquine la prise l’étonna quelque peu. Et elle aurait été bien incapable de dire si c’était par peur ou par nervosité. Peut-être les deux. Innocent étant relativement flippant quand il faisait les gros yeux, elle avait peut-être prit peur. Enora ne l’aurait pas blâmé pour ça. Par contre à savoir si il voulait la manger… la délinquante n’avait reçu aucun écho sur un quelconque cas de cannibalisme dans le centre. Si ce n’est Loebhan qui avait son côté vampire. Elle répondit calmement en fronçant légèrement les sourcils.

« Tu es à Génésis. Les gens normaux ne le restent pas longtemps. Et non, c’est moi qui l’ait bouffé y’a quelques temps. Et il est indigeste. »

Ah merde, elle aurait peut-être pas dût dire ça pour la calmer. Bon, tant pis. Elle prendra l’information comme elle voudra.

« Du calme, fillette. Pas la peine de gueuler. » Répliqua Enora en voyant qu’elle s’emportait toute seule. « Je ne suis pas en train de te forcer à quelque chose. Je suis juste en train de t’expliquer comment ça marche ici. Si tu ne veux pas écouter c’est ton souci, moi je m’en fous. »

Elle marqua un temps de quelques secondes avant de continuer. Pas spécialement pour mettre du suspens, juste parce qu’elle ne savait pas trop comment expliquer la suite à quelqu’un qui n’a jamais connu ce genre de rivalité.

« Tu viens de croiser un mec complétement taré, avec lequel je me fritte régulièrement depuis deux ans. Et je ne suis pas sûre d'avoir encore vu l'étendue de sa connerie. »

Innocent n’était pas le membre le plus fidèle du madgang, mais entre Enora et lui c’était tellement la guerre qu’elle ignorait si il serait assez con pour bizuter une gamine juste parce qu’elle aurait été aperçue en train de discuter avec elle. Dans le doute, c’était une hypothèse à ne pas écarter.

« Enfin. C'est pas le pire du centre non plus. Loin de là. »

On sentit alors sur le visage de la petite rousse le poids du désespoir peser sur ses frêles épaules. Maison de fous. Elle aurait du fuir, s'exiler au Texas, changer de nom, de tête - elle avait toujours rêvé de se teindre les cheveux en bleu paillette -, éviter la prison et cette maison de fous où elle doit taper des machins gluants à longueur de journée.
Elle était là, à se faire reculer pas gentil par un vampire, à discutailler avec une cannibale, à se faire adresser des yeux par des yankees en talons aiguilles, et tout ça pour trois misérables petits tags de malheur! Où était la liberté d'expression? Et pourquoi c'était elle, forcement elle, qu'on coinçait à chaque fois?
Injustice. Elle voulait crier à la discrimination des naines rousses.

" Tu es à Génésis. Les gens normaux ne le restent pas longtemps. Et non, c’est moi qui l’ait bouffé y’a quelques temps. Et il est indigeste.
- J'm'en fouuuus que ce soit Genesis ou j'sais pas quoi! Regarde moi, qu'est ce que je fous là, au juste?! Et d'où tu bouffes les gens?! "

Tous des êtres de l'ombre. Elle était comme dans le jeu vidéo Alice Madness Return. Sauf qu'elle n'avait même pas l'occasion de charcuter ces gens-là avec un couteau de cuisine.
Alice Madness Returns... Elle, là, la cannibale, elle serait la Duchesse. Ça lui allait bien. Et le mec flippant, le Lièvre de Mars, hors de question de le comparer au Chapelier Fou, elle aimait trop ce personnage pour ça.

" Du calme, fillette. Pas la peine de gueuler. " Répliqua donc la duchesse, d'un air un peu perplexe. " Je ne suis pas en train de te forcer à quelque chose. Je suis juste en train de t’expliquer comment ça marche ici. Si tu ne veux pas écouter c’est ton souci, moi je m’en fous.
- Mais qu'est ce que je dois faire? "
Elle laissa un instant de silence, ne semblant pas vouloir répondre à sa question. Puis elle reprit enfin.
" Tu viens de croiser un mec complétement taré, avec lequel je me fritte régulièrement depuis deux ans. Et je ne suis pas sûre d'avoir encore vu l'étendue de sa connerie."

Elle allait mettre des poutres devant la porte de sa chambre, et basta. Le taré qui fait peur n'aura qu'à tuer la cannibale, c'était son problème, pas le sien, au moins ça fera une cannibale de moins ici. Astrolabe, devant ce genre de danger, dans ce genre d'endroit, n'était pas prête à devenir calme et réfléchie. A la guerre comme à la guerre. Et elle était trop trouillarde pour faire quoi que ce soit.

" Enfin. C'est pas le pire du centre non plus. Loin de là. "
Astrolabe soupira, se laissa tomber dos contre le mur.
" Je vais me faire bouffer, ici, point barre. Je suis pas prête à vivre ce genre de plan, là. J'ai rien d'une délinquante. Je voulais juste éviter la prison.

Ah bon sang, qu’est-ce que c’était agaçant. Cette manie de se plaindre tout le temps, à s’apitoyer sur son sort, et à refuser d’avancer… bon sang, cette fille sortait d’un monde de bisounours et de petits poneys, ce n’était pas possible autrement. Elle avait fait quoi pour se retrouver ici ? Deal de bonbons ? Trafics de paillettes ? Elle n’était pas la seule à être tombée au mauvais endroit au mauvais moment. Enora avait fait beaucoup de conneries, mais était en train de se refaire une vie normale à Paris de façon presque légale. Il avait fallu que le cousin débile de Dreiden foute tout en l’air et c’était eux qui avaient pris. C’était peut-être le normal retour de bâton divin, mais pour Enora, ça resterait de l’injustice pure et simple. Les bras croisés, les épaules remontées, la mine basse, et le pied droit tapant rageusement sur le sol, elle laissait Astrolabe pleurer sur son sort. Peut-être qu’à un autre moment, elle lui aurait tapoté l’épaule en disant « mais naaan, tu verras tu vas te faire pleins de copines ici et tu finiras aussi tarées que les autres ! » mais là tout de suite, elle avait plutôt envie de se tirer d’ici et de laisser la rouquine se faire bouffer si c’était la seule chose qu’elle avait en tête. D’ailleurs elle comptait partir quand elles furent bientôt rejointes par un type bizarre. Il revenait d’une course folle et semblait haleté. Enora s’approcha un peu et tendit l’oreille. Marius, Raphael, et des potes à eux. Il avait les Mad aux trousses. Joli score.

Elle l’aurait volontiers félicité si il ne s’était pas soudainement écarté et imaginer que les deux filles étaient en train de faire des choses bizarres. Elle ne se priva pas pour le foudroyer du regard, et dut se retenir pour ne pas lui envoyer une bonne gifle. D’ailleurs elle aurait eu du mal vu qu’il prit les mains des deux jeunes filles pour les serrer. Enora se laissa faire sans vraiment comprendre. Et sans faire attention qu’il était en train de lui voler sa bague. Elle retira sa main en la secouant, le regardant d’un air dubitatif. Elle se serait bien présentée pour la peine, mais il était déjà en train de parler de sa mésaventure avec les Mad. Une histoire avec un œuf. Visiblement il avait l’air tellement lancé sur ses dires qu’il ne faisait pas attention aux deux filles. Enora se demanda l’air de rien si il leur parlait, ou alors si il était en train de se faire un récit à lui-même.

En tout cas, il était vraiment trop bavard, et l’irlandaise tenta un ou deux fois de l’arrêter avec un « Hey ! » mais peine perdu. Lazaro ne comptait pas s’arrêter au milieu de son histoire. Ça n’aurait pas trop été gênant si il ne fournissait pas autant de détails chiants. Il stoppa net quand des pas résonnèrent dans le couloir. Putain, l’autre débile leur avait amené Valérian. Question de principe, elle ne pouvait pas jeter Lazaro en pâture au Mad. C’était l’ennemi, le principe était de le faire chier. Et d’assister Lazaro qui avait visiblement bien foutu le boxon chez eux.

« Tu cherches quelque chose Valérian ? » Fit l’irlandaise en s’avançant devant le Mad l’air sûre d’elle. Sauf que Valérian était très loin d’être comme le commun des mortels, et il attaqua directement avec un coup de boule. Enora n’avait pas eu le temps de voir 36 chandelles qu’elle était en train de se tenir le nez en sang en crachant une bradée d’insultes dans sa langue natale.

« Lui là. » Répliqua l’intrus en pointant du doigts Lazaro . « Marius veut le retrouver ! »

Rah bon sang, elle ne pouvait pas le maitriser parfaitement toute seule. S’enfuir aurait été une solution, mais elle ne pouvait pas laisser les deux autres tout seuls avec un taré pareil. Elle avait été prête à laisser Astrolabe dans la merde il y a deux minutes, mais là, sans raison, elle avait changé d’avis. Le coup lui avait peut-être déconnecté les neurones. En tout cas, elle se redressa, tentant de cacher la douleur de son nez en sang, et n’imaginant même pas à quel point elle devait être moche à voir en cet instant. Valérian était givré, Enora pourrait peut-être en profiter.

« Tu ne peux pas l’amener à Marius. »

Valérian prit un air surprit. « Bah pourquoi ? »

« Marius veut le retrouver c’est ça ? Donc il veut le trouver lui-même. Si toi tu le ramène, il va mal le prendre. »

Le jeune homme fronça les sourcils et se gratta la nuque comme si il réfléchissait. Enora s’attendait à un second coup de boule qui achèverait de réduire son nez en poussière, mais il tourna les talons et s’éloignant. Pour lui ça semblait tenir la route. Victoire de canard. Enora reprit sa grimace de douleur en se tenant le nez, et se tourna vers les deux autres :

« Je reste pas une minute de plus ici. Vous, vous faites ce que vous voulez, mais à votre place je me mettrais à l’abri, parce que je suis pas sûre qu’ils soient tous aussi cons que celui-là. »

Et elle se mit en marche vers la salle de musique, le reste de sa troupe devait être là-bas, et hors de question d’aller à l’infirmerie toute seule.

Elle ne voulait plus rien comprendre de ce qui se passait ici ou de ce que les autres comptait lui faire. Astrolabe n'était plus là, clignait des yeux, grimaçait, et accueilli le nouvel arrivant avec un regard apeuré et fatigué.
Qu'est c'qu'on lui voulait encore? Qu'est ce qu'il avait, l'autre, avec ces histoires de lesbiennes, sa petite histoire à la noix? Il pouvait pas appeler Cherie FM pour raconter ses malheurs à quelqu'un qui lui donnerait une réponse plus concrète que ' Mais casse-toi j't'aime pas j'm'en fous de ta vie? '
Décidément, Astrolabe était prête à couiner comme une brebis face au Grand Méchant Loup et à se foutre royalement des autres jusqu'à la fin de la journée. Elle sentait comme un goût amer dans sa bouche, l'impression que ce séjour ne serait franchement pas facile. Des monstres, des guerres de gang, des agressions, des cannibales... Elle n'était pas faite pour ce genre d'aventures farfelues. Elle était faite pour se cacher dans un placard et dessiner des princesses à la craie sur les parois. Elle n'était pas faite pour ça. Et aujourd'hui elle était plus d'humeur à couiner, à trouver tout le monde agaçant et immorale. A e plaindre et ne pensait pour une fois qu'à sa petite personne. Peut-être n'avait-elle pas complétement tort, mais c'était sûr que pour les relations sociales, elle était mal partie. Dieu ce qu'elle aurait voulu rencontrer quelqu'un de normal!
Et Enora lui semblait être la moins pire de tous.
A part quand elle se prit sans broncher le coup de boule d'un taré. Son nez était en sang.
Astrolabe s'affola.

" Oh mon dieu de merde, ton... "

Mais elle s'arrêta directement, regardant avec inquiétude l'agresseur, comme figée.
Partir. Vite.
Ce fut d'ailleurs l'option d'Enora qui se redressant, s'éloigna d'eux.

" Je reste pas une minute de plus ici. Vous, vous faites ce que vous voulez, mais à votre place je me mettrais à l’abri, parce que je suis pas sûre qu’ils soient tous aussi cons que celui-là. "

Astrolabe déglutit.
En gentille petite fille sage, elle lui aurait courut après pour s'occuper de son pauvre nez.
Mais en pauvre trouillarde, elle ne fit qu'une chose.
Elle partit en courant.
Ni une ni deux, elle ne regarda plus personne, recula, et détala à une vitesse qu'elle ne se connaissait pas, ferma la porte ( la bonne cette fois ) de sa chambre, la verrouilla, resta un instant en face d'elle. Se laissa glisser au sol.
Elle allait devoir survivre. Cette affaire, ça allait devenir Kolanta.

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